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1 July 2011 Analyse de la Flore Corse: Aspects Biologiques
Daniel Jeanmonod, André Schlüssel, Jacques Gamisans
Author Affiliations +
Abstract

Jeanmonod, D., A. Schlüssel & J. Gamisans (2011). Analysis of the Corsican flora: biological aspects. Candollea 66: 5–25. In French, English and French abstracts.

This article summarizes and analyzes some of the data published in “Flora Corsica”, in order to characterize the Corsican flora (vascular plants). This analysis focuses on different aspects such as diversity (species richness, richest families), abundance (global, in each vegetation belt, in each habitat and substrate types), longevity and life forms (in all the studied area, in each vegetation belt) and phenology (flowering curves). The results are, whenever possible, compared with those of other geographic regions, particularly from the Mediterranean. They help outlining typical Mediterranean patterns, characterizing the Corsican vegetation belts, and identifying characteristics specifically related to the flora of Corsica.

Introduction

La Corse est une île de 8748 km2 située dans le bassin occidental de la mer Méditerranée, à 82 km de l'Italie et à 160 km de la France. Située entre 43°02′ et 41°20′N, elle est la plus septentrionale des six grandes îles méditerranéennes et la quatrième en superficie. Elle a comme particularité d'avoir un relief particulièrement développé avec plus de 100 sommets dépassant 2000 m, et avec cinq massifs principaux de montagnes atteignant 2710 m (Cinto), 2625 m (Rotondu) et 2357 m (Renosu) pour les plus hauts. D'un point de vue géologique, elle est composée de deux ensembles bien distincts, la Corse alpine, au nord-est, formée de schistes métamorphiques et la Corse granitique au sud-ouest. Ces deux ensembles sont séparés par une étroite dépression centrale d'axe NW-SE composée essentiellement de sédiments et émaillée de quelques petits massifs calcaires. A ce schéma, il faut enfin ajouter les massifs calcaires de la région de Saint-Florent au nord de l'île, et le plateau calcaire de Bonifacio au sud. L'ensemble de l'île est donc majoritairement siliceux, avec néanmoins une grande part de schistes, le calcaire n'étant que faiblement représenté (2% de la surface) et éclaté en zones distantes les unes des autres. Cette configuration géologique distingue la Corse de la Sardaigne voisine qui comporte plusieurs massifs calcaires et ne présente pas un relief aussi marqué.

D'un point de vue biogéographique, la Corse fait partie du quadrant NW méditerranéen (Blondel & Aronson, 1999) avec qui elle partage nombre d'espèces. Toutefois, elle est isolée du continent depuis environ 20 millions d'années, s'étant détachée à l'époque avec un ensemble formé par les actuelles Sardaigne, Iles Baléares, Kabylie, Calabre et le massif bético-rifain. Ce bloc s'étant progressivement disloqué, la Corse n'est restée proche que de la Sardaigne, dont elle n'est séparée que de 12 km, et avec laquelle elle a encore été reliée par voie terrestre lors des glaciations du Pleistocène. Elle forme donc un ensemble biogéographique bien spécifique avec la Sardaigne, le domaine cyrno-sarde. Mais elle a aussi une histoire commune, mais ancienne, avec les Baléares (distantes de 400 km), la Calabre (distante de 600 km), et encore plus ancienne avec la Kabylie et les massifs bético-rifains. Ses territoires voisins les plus proches sont actuellement, après la Sardaigne, l'Italie et plus précisément la Toscane et la Ligurie, ainsi que la France avec les Alpes-Maritimes et le Var.

La Corse a récemment fait l'objet d'une flore exhaustive sous le titre de «Flora Corsica» (Jeanmonod & Gamisans, 2007), travail de synthèse faisant suite à de très nombreuses notes de mises au point floristiques et taxonomiques. Chaque taxon présent dans l'île y est nommé et décrit mais aussi caractérisé par des éléments qui lui sont soit spécifiques, tels que le type de longévité, la forme biologique et le type bio géographique, soit plus ou moins liés au territoire tels que le degré de fréquence sur l'île, le(s) étage(s) de végétation dans le(s)quelle(s) il est présent, les milieux et les substrats où on le rencontre.

L'objectif de cette étude est d'utiliser ces données afin de:

  • — quantifier la biodiversité de la Corse dans son ensemble, mais aussi dans ces divers compartiments (étages de végétation, substrat, etc.);

  • — mettre en évidence les patrons écologiques, biologiques et biogéographiques qui s'en dégagent.

Ces patrons peuvent se révéler très utiles pour la gestion de l'environnement, et la «priorisation» des protections, notamment en ce qui concerne les espèces rares à protéger. La question est de savoir si le patron de distribution des espèces rares est, par exemple, lié à certains étages de végétation, et dans ce cas à la surface qu'ils occupent, ou corrélé au substrat compte tenu que la Corse est essentiellement siliceuse, les autres substrats étant rares et souvent disséminés, ou encore lié à des formes biologiques particulières ou à des types de milieu bien définis.

Un objectif secondaire de notre étude est d'évaluer l'originalité de ces patrons et donc de voir s'ils sont propres à la Corse ou s'ils sont caractéristiques de la situation insulaire, du relief particulièrement marqué ou d'un ensemble biogéographique large (ouest méditerranéen) ou plus étroit (domaine cyrno-sarde par exemple).

C'est la raison pour laquelle les résultats de l'analyse que nous développerons ci-après pour la Corse seront mis en perspective par le biais d'une comparaison avec les données des territoires qui ont le plus de points communs avec cette île. Rappelons toutefois que cette mise en perspective dépend totalement des données disponibles sur les territoires voisins, données hélas particulièrement hétérogènes, lacunaires et largement insuffisantes pour une étude statistique complète.

Matériel et méthodes

Taxons traités

Nous avons utilisé l'ensemble des données de «Flora Corsica» qui répertorie, de façon exhaustive, tous les taxons de la Corse. Cet ouvrage mentionne la présence de 2781 taxons dans la flore sauvage de l'île, représentant 2397 espèces dont 269 se subdivisent en 474 sous-espèces (comprenant souvent les sousespèces types), 176 variétés et 2 formes. Toutefois, afin de permettre des analyses comparatives avec d'autres flores, nous avons choisi de ne tenir compte que des espèces et des sousespèces, en éliminant les variétés, les formes et les hybrides: ces derniers ont en effet une valeur taxonomique discutable et ne sont le plus souvent pas pris en compte dans les flores. Nous avons donc pris en considération un total de 2680 taxons.

Ces taxons représentent la flore sauvage de l'île qui comprend tant les espèces indigènes que les espèces introduites. Ces dernières ne cessent d'augmenter et atteignent aujourd'hui 16,5% de la flore. Les analyses que l'on fait sur la flore sauvage vont donc être fortement influencées par cette composante qui n'est pas toujours prise en compte dans les analyses d'autres flores. Or c'est la composante indigène qui nous intéresse avant tout pour caractériser une flore. Dans cet article, sauf mention explicite, nous nous attacherons donc à la flore indigène uniquement, c'est-à-dire aux 2237 taxons qui la composent.

Données utilisées

Chaque taxon est caractérisé dans «Flora Corsica» par neuf paramètres qui couvrent des aspects biologiques, écologiques et biogéographiques. Nous porterons ici notre attention sur les aspects biologiques, à savoir les groupes taxonomiques, l'abondance des taxons, leur longévité, leur forme biologique et leur phénologie. Les autres aspects seront évoqués en relation avec ces aspects biologiques, mais ils seront analysés de façon approfondie dans un autre article. Il s'agit des aspects écologiques, à savoir les étages de végétation, les différents milieux et les substrats. De même, l'origine des taxons, et notamment l'endémisme et l'arrivée de xénophytes, ne sera qu'évoquée ici et fera l'objet d'autres publications.

Groupes taxonomiques

La flore de l'île a été subdivisée en trois grands groupes classiques: Ptéridophytes, Gymnospermes et Angiospermes. Au sein des Angiospermes, nous nous attacherons aux familles les plus importantes, à savoir à celles comportant plus de 50 taxons, et qui sont au nombre de 13. Nous avons repris la conception classique utilisée par «Flora Corsica», ce qui a aussi l'avantage d'être celle la plus généralement utilisée dans les flores actuelles. Ainsi, parmi ces 13 familles se trouvent notamment les Liliaceae et les Scrophulariaceae (au sens large) qui ont récemment été démembrées en plusieurs familles (cf. «Flora Corsica» pour davantage de précisions).

Abondance des taxons

L'ensemble de la flore a été réparti en sept grandes classes d'abondance, allant des taxons les plus communs aux taxons très rares, voire disparus ou soupçonnés de l'être, avec les abréviations suivantes:

  1. A) Taxons à plus ou moins forte répartition:

    1. CC = très commun;

    2. C = commun;

    3. PF = peu fréquent ou disséminé.

  2. B) Taxons à faible répartition:

    1. LOC = localisé (à une zone géographique restreinte, mais où il peut être abondant);

    2. R = rare: 10 localités au plus sont connues;

    3. RR = très rare: 5 localités au plus sont connues;

    4. D? = semble avoir disparu.Dans un but de comparaison, les taux d'abondance donnés pour la Suisse (Lauber & Wagner, 2007) ont été transformés comme suit: 0,1–1,0%=RR; 1,1–2%=R; 2,1–10%=LOC.

Longévité et formes biologiques

«Flora Corsica» donne à la fois les trois types de longévité classique, que sont les plantes annuelles, bisannuelles et vivaces, et les formes biologiques selon Raunkiaer (1934). La longévité n'est pas un critère suffisamment précis pour apporter beaucoup d'informations; en revanche, l'étude de la composition des diverses formes biologiques d'une flore se révèle très utile pour sa conservation. Par ailleurs, ces types ont une importante implication dans la constitution des groupes fonctionnels (Médail & al., 1998) et enfin certains portent une grande signification bioclimatique et écologique (Daget, 1980). De plus, ils constituent des descripteurs utiles dotés d'une certaine valeur prédictive, comme le relèvent Verlaque & al. (2001). Les types utilisés ici sont les grands groupes de Raunkiaer considérés par la plupart des flores européennes: phanérophytes, chaméphytes, hémicryptophytes, géophytes, hydrophytes (qui incluent ici les hélophytes) et thérophytes.

Phénologie

«Flora Corsica» donne les mois de floraison pour l'ensemble du territoire corse, c'est-à-dire l'ensemble du spectre de floraison quelle que soit l'altitude. Ainsi, des espèces à vaste répartition altitudinale comme Brimeura fastigiata (Viv.) Chouard ou Crocus corsicus Maw. se voient respectivement attribuer des mois de floraison de février à juillet et décembre à juillet alors que dans un étage de végétation précis, elles ne sont pas en fleurs sur de si longues périodes. Cela introduit un léger biais dans certaines analyses comparatives que l'on peut faire. Le rapport entre la phénologie et les étages de végétation en sera par exemple forcément atténué. Il nous a paru néanmoins intéressant d'examiner ce qui peut ressortir d'une telle analyse globale.

Etages de végétation

L'existence de reliefs très accentués engendre la présence d'étages de végétation bien marqués. Selon Gamisans (1999), ces étages sont ceux du domaine méditerranéen (thermo-, méso-, supra- et oroméditerranéen) sauf à haute altitude où s'individualisent des étages de type eurosibérien (montagnard, subalpin et alpin). A ces étages, s'ajoutent les milieux littoraux et l'ensemble des groupements ripicoles distingués en trois zones altitudinales par «Flora Corsica». Dans notre analyse nous avons intégré ces groupements dans les étages où ils sont présents et nous n'avons donc retenu que le littoral et les étages selon le système suivant, pour lequel les surfaces ont été calculées selon un modèle numérique. Plusieurs étages sont donc définis:

  1. littoral: cette zone forme une étroite bande le long des 1000 km de la côte corse (soit environ 1% de la surface de l'île). Elle ne constitue pas un véritable étage de végétation, mais plutôt un ensemble de groupements soumis aux embruns salés, se situant climatiquement au niveau de l'étage thermoméditerranéen ou mésoméditerranéen;

  2. thermoméditerranéen: étage fragmentaire entre le littoral et le mésoméditerranéen. Réduit à un liseré côtier fréquemment interrompu au nord de l'île, il peut atteindre localement 100 à 180 m de largeur au sud de l'île. Sa surface est estimée à 2%;

  3. mésoméditerranéen: situé au-dessus du littoral ou du thermoméditerranéen, il s'étend jusqu'à 700 m aux ubacs et 900 m aux adrets. C'est l'étage qui occupe la plus grande surface (71,05%);

  4. supraméditerranéen: situé entre (350-)700–1000 m aux ubacs et 900–1350 m aux adrets, il occupe une surface de 11,82%;

  5. montagnard: entre 900 et 1600 m aux ubacs et 1300 et 1800 m aux adrets, il occupe une surface de 10,86%;

  6. oroméditeranéen: défini uniquement sur les adrets et les crêtes entre 1800 et 2200 m, il occupe une surface d'environ 2%;

  7. subalpin: localisé essentiellement aux ubacs entre 1600 et 2100 m, il occupe 1,50% de la surface;

  8. alpin: il occupe les positions culminales sur les massifs dépassant 2300 m, avec une surface de 0,36%.

Milieux

Le système employé par «Flora Corsica» est un système basé sur les grands types de formations. Dans le cas de notre analyse, nous avons simplifié le système en le réduisant à 12 grandes catégories de groupements de milieux:

  • a. aquatiques;

  • b. semi-aquatiques;

  • c. humides;

  • d. ripicoles (rives des cours d'eau);

  • e. sablonneux;

  • f. rocheux;

  • g. des pelouses;

  • h. des mégaphorbiées;

  • i. des fruticées;

  • j. forestiers;

  • j. culturaux;

  • l. rudéraux.

Substrat

Dans «Flora Corsica», le substrat donné pour chaque taxon est simplifié puisque les auteurs ne le précisent que lorsque les taxons sont liés aux calcaires, aux schistes ou aux serpentinites. Rien n'est mentionné lorsque le taxon est présent sur la silice car c'est le cas le plus fréquent, ou qu'il est indifférent. Cette valeur (silice ou indifférent) est donc prise par défaut dans nos analyses pour tous les taxons pour lesquels les trois autres substrats ne sont pas mentionnés. Ces substrats occupent des superficies de taille très dissemblable, 67% du territoire pour la silice, 15% pour les schistes, 2% pour les calcaires et 4% pour les serpentinites, le reste (12%) étant couvert par des alluvions.

Comparaison avec d'autres territoires

L'objet essentiel de cet article est l'analyse des composantes floristiques spécifiques à la Corse. Néanmoins, il nous a paru nécessaire de les comparer à ceux donnés sur d'autres territoires méditerranéens présentant des similitudes géographiques (insularité, position latitudinale, surface, relief), à savoir en priorité les autres grandes îles méditerranéennes: Sardaigne, Sicile, Crète, Baléares et Chypre. Nous nous sommes aussi intéressés aux territoires voisins proches, à savoir les départements français méditerranéens, ainsi que les régions italiennes proches. En effet, ces territoires présentent la plus grande similarité en terme de climat (latitudes semblables ou proches), de proximité (permettant un certain échange) et de paléogéographie. Des données semblables à celles que nous avons obtenues pour la flore de la Corse ne sont toutefois pas disponibles pour chacun de ces territoires et il est malheureusement très rare de trouver des analyses quelque peu exhaustives de la composition de la flore des territoires.

Deux autres écueils sont à relever lorsqu'on cherche à comparer de telles données entre les territoires. Le premier est la nature du jeu de données. Certains ne donnent qu'une analyse des taxons indigènes (Larrucea & Coll (2006), pour les Baléares), alors que d'autres considèrent la flore totale (Alziar (1995), pour la Crète; Conti & al. (2005), pour l'Italie); certains ne considèrent que les espèces, d'autres incluent les sous-espèces, d'autres y ajoutent certains hybrides sans que les chiffres avancés dans les analyses soient toujours très explicites. Dans la mesure du possible, nous préciserons ici, lors des comparaisons, s'il y a divergence de conception. Le second problème provient de l'hétérogénéité des connaissances et notamment des dates des ouvrages d'où sont tirées les données. En effet, ces dates ont une forte influence sur l'importance accordée à flore introduite puisque celle-ci s'est fortement accrue durant ces dernières décennies. Mais elles ont aussi une influence sur la flore indigène puisque les connaissances s'accroissent avec le temps et que les conceptions taxonomiques varient. Ainsi, plusieurs groupes difficiles (Alchemilla L., Hieracium L., Rosa L., Rubus L., Taraxacum F. H. Wigg.) sont considérés à certaines périodes sous forme de nombreuses «petites espèces», ou en d'autre temps, par d'autres auteurs, regroupés en quelques «grandes espèces». Il faut toujours avoir en tête ces divergences de conception lorsqu'on compare les chiffres donnés par des auteurs différents. Nous pouvons ainsi relever que les données synthétiques publiées par Mariotti (1990) sur la Corse, la Sardaigne et la Ligurie, que nous utiliserons à titre comparatif faute de mieux, sont issues de recensements floristiques disparates et parfois très anciens (1897 pour la Ligurie, 1933 pour la Sardaigne et 1985 pour la Corse).

Enfin, soulignons ici que nous avons ajouté la Suisse comme élément comparatif extra-méditerranéen, comme «outgroup » en quelque sorte. Ce choix est dû à la conjonction de plusieurs facteurs qui fait que la Suisse est l'un des seuls territoires médioeuropéens à avoir en commun avec la Corse:

  • a. une taille relativement réduite;

  • b. un relief très marqué;

  • c. un très haut niveau de connaissance de sa flore (voir Aeschimann & Burdet, 1994; Aeschimann & Heitz, 2005; Lauber & Wagner, 2007).

Si la richesse taxonomique est relativement facile à comparer entre territoires, la composition floristique, elle-même, est beaucoup plus difficile à faire puisqu'elle implique une comparaison taxon par taxon avec une conception taxonomique identique. Nous n'avons tenté une telle comparaison qu'avec la Sardaigne et l'Italie sur la base des données de Conti & al. (2005), complétées et corrigées par Conti & al. (2006), notamment en ce qui concerne la Sardaigne. Cette comparaison est basée sur la flore réellement présente dans ces territoires, c'est-à-dire que nous avons écarté de l'analyse tous les taxons disparus ou supposés disparus de ces régions. De plus, nous avons intégré au mieux les choix nomenclaturaux ou taxonomiques distincts, notamment en ce qui concerne les sousespèces signalées en Corse, mais non renseignées pour la Sardaigne ou pour l'Italie, car intégrées dans l'espèce au sens large (surtout des Hieracium).

Analyses statistiques

La comparaison de la richesse floristique entre les différents territoires a été effectuée à l'aide de l'indice de similarité de Jaccard (Jaccard, 1908), calculé selon la formule suivante: «flore commune / (flore A + flore B — flore commune) / 100», pour les territoire A et B. Par ailleurs, et de manière à tenir compte de la disparité des surfaces propres à chaque territoire, une projection de la relation aire-espèce sur une échelle logarithmique (voir Arrhenius, 1921) a été effectuée, suivie par un calcul de la droite de régression et du coefficient de détermination (r2) (Zar, 1996). Toutes les analyses comparatives (tableaux 4 à 7 et fig. 3 à 6) ont été testés statistiquement par des tests de Khi2 et de Khi2 partiel (par case) effectués sur les valeurs brutes (et non sur les valeurs indiquées en % dans les tableaux), ceci dans le but de mettre en évidence d'éventuelles particularités. Le Khi2 partiel représente la part du Khi2 global au croisement d'une modalité colonne avec une modalité ligne. Plus la valeur du Khi2 partiel pour une case est forte, plus l'attraction (c'est-à-dire la dépendance) entre les deux modalités est importante. On notera qu'on ne peut pas interpréter les valeurs des Khi2 partiels si le Khi2 global (somme des Khi2 partiels) n'est pas significatif. Dans les tableaux nous avons mis en évidence les valeurs significatives (hautes ou moyennes) par un encadrement. Dans les analyses, nous avons précisé les données hautement significatives (p < 0,01), et celles moyennement significatives (p < 0,05). Finalement, dans quelques cas, les chiffres obtenus pour une modalité colonne ont été testés par rapport aux autres en utilisant le test non paramétrique de Wilcoxon pour observations appariées (Wilcoxon's signedranks test, Sokal & Rohlf, 1995).

Résultats et discussion

Nombre de taxons et répartition taxonomique globale

Le nombre de taxons présents en Corse par comparaison avec celui mentionné dans les flores des territoires voisins et des grandes îles est donné dans le tableau 1. Bien que notre étude s'attache à la flore indigène, nous y avons volontairement indiqué aussi les chiffres pour la flore sauvage totale avec la part de la flore introduite. En effet, nombre de flores ou d'articles analytiques ne distinguent pas ces deux composantes. Ce tableau donne donc la mesure de la distorsion des chiffres qui en découle. Cette distorsion peut être faible dans quelques cas comme ici Chypre, le Vaucluse ou le Gard. En revanche pour d'autres territoires (surtout dans le cas d'études récentes), la part de la flore introduite peut fortement influencer les résultats puisqu'elle peut atteindre une proportion de 34,8% dans le cas de la flore des Bouches-du-Rhône. Une étude en cours montre en effet que la flore introduite ne présente généralement pas les mêmes caractéristiques que la flore indigène en terme de catégories taxonomiques, de formes biologiques, de répartition dans les étages de végétation, de milieux occupés, etc.

Par ailleurs, la comparaison entre territoires du taux de plantes introduites peut laisser penser que la Corse est plus sensible à l'introduction d'espèces étrangères. Mais il faut se souvenir que le nombre de plantes introduites s'est fortement accru ces dernières années en Europe. Or les chiffres des autres îles sont plus anciens et moins bien documentés que les nôtres, la Corse ayant fait l'objet de nombreuses publications floristiques durant les vingt dernières années (Jeanmonod & al., 1986; Jeanmonod & Schlüssel 2006), ainsi qu'un ouvrage consacré aux plantes introduites (Natali & Jeanmonod, 1996).

Tableau 1.

Comparaison de la richesse spécifique (alpha phytodiversité) de plusieurs territoires par ordre croissant de leur surface.

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Ces divers territoires couvrent des surfaces très différentes (le Vaucluse est presque 85 fois plus petit que l'Italie) et seule une projection de la relation aire-espèce sur une échelle logarithmique (loi d'Arrhenius) permet de les comparer de façon satisfaisante (Arrhenius, 1921). Il en ressort (fig. 1) que la Ligurie et la Toscane présentent une richesse floristique en végétaux indigènes supérieure à celle projetée par la droite de régression et, qu'au contraire, Chypre, la Crète, la Sardaigne et la Suisse sont en dessous du taux attendu. La pente de la droite (0,27) est celle habituellement relevée dans la relation d'Arrhenius (entre 0,15 et 0,4 mais généralement proche de 0,26 selon Myers & Giller, 1988). La linéarité de la relation est très élevée (r2=0,6968 augmentant à 0,7315 lorsqu'on sort la Suisse de l'analyse, cette dernière représentant le seul territoire non méditerranéen). Par ailleurs, la Corse se trouve pratiquement sur la droite de régression et son exclusion dans le calcul du r2 ne modifie la valeur de ce dernier qu'à partir du 4e chiffre après la virgule. Ces résultats peuvent être comparés avec ceux obtenus sur les petites îles du sud-est de la France (Médail & Vidal, 1998: y=0,5x + 0,7 et r2=0,6). La pente y est plus forte, ce qui est attendu pour des petites surfaces (Myers & Giller, 1988), mais les valeurs de r2 sont sensiblement égales. La Corse, avec un taux légèrement supérieur à celui attendu (située au-dessus de la droite de régression), montre une richesse équivalente à celle des territoires continentaux voisins et supérieure à celle des autres îles méditerranéennes. Ces résultats se rapprochent de ceux obtenus par l'étude d'autres groupes taxonomiques tels que les oiseaux (Blondel & al., 1988; Thibault, 2006). En effet, dans ce dernier cas, il a été montré que la richesse spécifique des oiseaux nicheurs de la Corse est supérieure à celle attendue lorsqu'on la compare à celle des autres îles méditerranéennes. Ces résultats sont par contre en décalage avec le postulat du syndrome d'insularité, dont un des principes stipule que la richesse spécifique des îles est inférieure à celle de zones continentales proches et de surface équivalente (Blondel, 1995; MacArthur & Wilson, 1967). La Corse semble être un cas à part qui reste à expliquer.

Dans l'analyse du nombre de taxons communs entre la Corse, la Sardaigne et l'Italie, la comparaison entre la flore indigène présente en Corse, en Sardaigne et pour le reste de l'Italie (Sardaigne exclue mais Sicile comprise), conduit à deux constatations (tableau 2):

Le nombre de taxons communs entre la Corse et la Sardaigne (69,5% de plantes de Corse présentes en Sardaigne) est plus faible que ce que nous attendions, l'indice de similarité étant seulement de 0,52; ce résultat est d'ailleurs légèrement plus faible que celui (Is=0,66) calculé par Corrias (1990) sur la base de Pignatti (1982), ou celui (Is=0,62) calculé à partir de données plus anciennes de Mariotti (1990), ou encore celui (Is=0,63) de Junikka & al. (2006) sur la base des 13 premiers volumes d'atlas de Pignatti (1982) (soit environ 1/5 de la flore)

Fig. 1.

Comparaison, en mode logarithmique, de la richesse spécifique indigène (alpha phytodiversité) en fonction de la surface du territoire considéré de plusieurs régions (mêmes sources que tableau 1).

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Tableau 2.

Comparaison du nombre de taxons communs entre la Corse, la Sardaigne et l'Italie (Sardaigne exclue).

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Le nombre de taxons de Corse présents en Italie (Sardaigne exclue) est nettement plus élevé (85,7%), ce qui était inattendu. Il est probablement dû, pour une grande part, au fait que la Corse présente des étages de végétations que ne possède pas la Sardaigne (subalpin et alpin), mais qui sont bien représentés en Italie. Mais il indique aussi que la colonisation à partir d'un territoire distant est plus forte qu'attendue puisqu'elle prédomine sur l'origine commune des flores. En revanche, l'indice de similarité est nettement plus faible qu'avec la Sardaigne puisque le nombre de taxons présents en Italie, mais absents de Corse, est très élevé (6621 taxons en Italie, contre 2165 en Corse).

Notons par ailleurs que Corrias (1990) relève une similarité nettement supérieure entre la Sardaigne et la Corse (Is=65,8) qu'entre la Sardaigne et les autres territoires voisins (Sicile: 0,56; Puglia: 0,53; Calabre: 0,49 et Lazio: 0,47).

Répartition taxonomique

1. Grands groupes taxonomiques

La répartition des grands groupes taxonomiques au sein de la flore indigène (espèces et sous-espèces) de divers territoires méditerranéens, et de la Suisse en comparaison, montre un taux relatif de Ptéridophytes qui varie passablement (1,35% à 3,35%), la Corse présentant le plus haut taux (tableau 3). Néanmoins, cette différence apparaît comme insuffisante pour être statistiquement significative (Khi2 partiel: p > 0,1 pour toutes les cases).

Cette variation peut s'expliquer par deux tendances qui s'entrecroisent. L'une de ces tendances est que le nombre de Ptéridophytes est proportionnellement plus grand dans les territoires les plus septentrionaux et les plus humides (par exemple ici la Suisse, la Toscane et la Corse par rapport à Chypre et la Crète), mais pour autant que la taille des territoires ne soit pas trop dissemblable. La seconde tendance est que l'augmentation des Ptéridophytes en fonction de la surface (loi d'Arrhenius) est plus faible que celle des Angiospermes (droite de régression de y _ 0,2975x + 0,4833 avec un r2 de 0,4663 à comparer avec celle de la fig. 1) ce qui conduit inévitablement à une diminution de la proportion de Ptéridophytes lorsque la surface augmente. C'est ce qui explique ici les faibles taux pour l'ensemble de l'Italie, suivie par la Sardaigne et la Sicile, mais aussi le taux relativement élevé de Ptéridophytes pour les Baléares (3,01%), territoire à la même latitude que la Sardaigne mais de surface nettement moindre.

Tableau 3.

Nombre et proportions de taxons des grands groupes taxonomiques pour la flore indigène de diverses régions.

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2. Familles principales

Parmi les Angiospermes indigènes de Corse, les 13 familles les plus importantes (avec plus de 50 taxons) totalisent ensemble 1440 taxons, soit 64,37% de la flore indigène de l'île. Ce sont pratiquement les mêmes familles que l'on retrouve en Europe ou en région méditerranéenne, mais pas exactement dans le même ordre d'importance (tableau 4). Statistiquement (Khi2 partiel hautement significatif avec p < 0,01) les régions tempérées (Suisse et Pyrénées) se distinguent des régions méditerranéennes (Corse, Crète et Baléares) principalement par un taux faible de Fabaceae et un taux élevé de Rosaceae et Scrophulariaceae. Par ailleurs, la Corse présente la spécificité d'avoir un taux d'Asteraceae sensiblement plus important que les autres régions (p < 0,01), ainsi qu'un taux très faible de Brassicaceae (p < 0,01). On remarque que la Suisse montre un taux élevé de Cyperaceae et un taux très faible de Liliaceae (hautement significatif: p < 0,01 dans les deux cas) ce qui correspond probablement à un patron spécifique aux régions tempérées. Ce patron se retrouve plus ou moins dans l'étude de UZUNOV & GUSSEV (2003) sur les espèces des hautes montagnes de Bulgarie (situées à peu près à la même latitude que la Corse): les Rosaceae (2e position), Scrophulariaceae (5e) et Ranunculaceae (9e) montrent des valeurs importantes, alors que les Fabaceae n'apparaissent qu'en sixième position et les Liliaceae en douzième. Les Cyperaceae montrent par ailleurs un taux relatif de 2,68% proche de celui de la Corse. Les chiffres obtenus pour la Corse ont, par ailleurs, été testés par rapport aux autres territoires en utilisant le test de Wilcoxon pour des observations appariées. Les résultats montrent que globalement la Corse ne diffère pas significativement des autres régions géographiques considérées (seuil à p < 0,05). Cela peut simplement indiquer que la Corse est dans une position intermédiaire en subissant une double influence, d'une part celle, à basse altitude, de la zone méditerranéenne, d'autre part celle, à plus haute altitude, de la zone tempérée.

Tableau 4.

Pourcentage de taxons des 13 familles principales sur le total de la flore indigène pour la Corse, la Crète, les Baléares, la Suisse et les Pyrénées.

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Cette hypothèse peut être vérifiée par la proportion de ces mêmes familles au sein de chacun des étages de végétation (tableau 5). Le test du Khi2 partiel montre une relation significative entre le taux relatif de certaines familles et l'altitude. En effet, si l'on excepte le littoral, le taux relatif des Fabaceae diminue avec l'altitude, en passant des étages méditerranéens aux étages de type tempéré (significativement élevé: p < 0,01) pour le thermoméditerranéen et le mésoméditerranéen et significativement bas (p < 0,05) pour tous les autres étages). A l'inverse, pour les Rosaceae ce taux a tendance à augmenter (p < 0,05 sauf dans le cas des étages oroméditerranéen et alpin), ainsi que pour les Ranunculaceae et les Scrophulariaceae (néanmoins, dans ces deux derniers cas de manière insuffisante pour être statistiquement significatif). En revanche, ni les Poaceae ni les Liliaceae ne montrent de différences notables entre les étages (à l'exception du littoral qui accuse un taux de Poaceae élevé). Ce tableau montre aussi le particularisme d'une part de l'étage oromédi terranéen avec des pics pour les Caryophyllaceae (hautement significatif: p < 0,01), et dans une moindre mesure pour les Poaceae et les Brassicaceae (mais de manière insuffisante pour être statistiquement significatif), ainsi qu'un taux bas d'Orchidaceae (p < 0,05; particularité qu'il partage avec l'alpin) et de Cyperaceae (mais statistiquement non significatif); et d'autre part du littoral qui est le seul a montrer un taux de Poaceae significativement élevé (p < 0,01), et une proportion de Lamiaceae et de Ranunculaceae significativement basse (p < 0,05).

Par ailleurs, on notera également que:

  1. l'étage subalpin est le seul à se distinguer par un taux de Cyperaceae significativement élevé (p < 0,05);

  2. le mésoméditerranéen est le seul à se distinguer par un taux d'Asteraceae très faible (hautement significatif (p < 0,01);

  3. le thermoméditerranéen est le seul à se distinguer par un taux d'Apiaceae et de Cyperaceae significativement faible (p < 0,05).

En plus d'un taux faible de Fabaceae (déjà évoqué ci-dessus), l'étage supraméditerranéen se distingue surtout par une proportion de Rosaceae très élevée (p < 0,01), caractéristique qu'il partage avec le montagnard et le subalpin. Les chiffres obtenus pour les Fabaceae ont été testés par rapport aux autres familles en utilisant le test de Wilcoxon pour des observations appariées. Les résultats montrent que la répartition altitudinale de cette famille ne diffère significativement (seuil à p < 0,05) qu'avec la répartition des Asteraceae, ainsi qu'avec celle des Orchidaceae.

3. Abondance des taxons

Les espèces rares ou localisées intéressent particulièrement les gestionnaires d'espaces naturels, notamment du fait des stratégies de conservation à mettre en place. Or ce qui frappe d'emblée dans la flore de l'île (fig. 2), c'est la très forte proportion de taxons à faible répartition, à savoir 40% pour les classes D?+RR+R+LOC (dont 20% uniquement pour les RR), les taxons largement distribués (C+CC) ne représentant que 34,2%. On ne peut guère attribuer ces chiffres à une méconnaissance de la flore de l'île, puisque les nombreuses notes publiées ces vingt dernières années ont pu corriger nos connaissances et les affiner.

Fig. 2.

Répartition des classes d'abondance des taxons pour la flore indigène.

[Abréviations : CC = très commun; C = commun; PF = peu fréquent ; LOC = localisé ; R = rare ; RR = très rare ; D? = disparu ?]

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Tableau 5.

Comparaison des pourcentages de taxons des 13 familles principales de la flore indigène dans les étages de végétation en Corse.

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Bien que la comparaison de ce spectre avec celui d'autres territoires puisse être extrêmement utile, nous n'avons pu le faire, faute de données, qu'avec la Suisse (LAUBER & WAGNER, 2007), en adaptant les taux d'abondance indiqués. Le spectre obtenu pour la Suisse est le suivant: D?=0,5%; RR=9,9%, R=8%, LOC=20,5% soit un total pour ces quatre classes d'abondance de 38,5%. Il en ressort que la proportion de taxons à faible répartition (D?+RR+R+LOC) est très proche mais un peu plus faible en Suisse qu'en Corse. En revanche, la proportion de taxons très rares (RR) est de deux à trois fois plus élevée en Corse; à l'inverse la proportion des taxons localisés (LOC) est plus forte en Suisse.

Afin de mieux cerner la distribution dans l'île des taxons à faible répartition, nous avons calculé le taux relatif de chaque catégorie dans les étages de végétation (fig. 3). La flore disparue (D?) se rencontre très majoritairement dans l'étage mésoméditerranéen (60,2%, Khi2 partiel hautement significatif (p < 0,01)), alors qu'elle est inexistante dans les trois étages supérieurs, particulièrement peu représentée dans le montagnard (2,27%, p < 0,01) et dans une moindre mesure dans le supraméditerranéen et le subalpin (p < 0,05). Dans le mésoméditerranéen, la flore à faible répartition (RR, R et LOC) présente un taux relatif (32,3–36,9%) supérieur à celui de l'ensemble de la flore indigène de cet étage (30,6%). Cet étage présente pourtant le plus de disponibilité en surface (71% de l'île). Les étages supérieurs (alpin, oroméditerranéen et en partie le subalpin), pourtant très réduits en surface (0,4%, 1,4% et 1,5%) présentent un taux bas de plantes à faible répartition, soit un taux inférieur à celui observé à ces étages pour l'ensemble de la flore! Dans ce groupe et comparativement aux proportions observées sur l'ensemble de la flore, la flore très rare (RR) se rencontre surtout dans le mésoméditerranéen (36,9% vs 30,6%, p < 0,01), alors qu'elle est particulièrement peu représentée dans le thermoméditerranéen (p < 0,01). La flore rare (R) est bien représentée sur le littoral (12,4% vs 9,5%, p < 0,05), mais plus faiblement (p < 0,05) dans l'oroméditerranéen (1,6% vs 2,9%) et l'alpin (1,2% vs 2,6%). La flore localisée (LOC) est bien présente dans le thermoméditerranéen (13,2% vs 9,5%, p < 0,01), ce qui peut s'expliquer par le fait que cet étage est lui-même très localisé et fragmenté. La flore commune (C) montre un taux nettement plus important (Khi2 partiel significatif: p < 0,05) que les autres classes dans les étages supérieurs (du montagnard à l'alpin). Ces résultats confirment les tendances observées par VERLAQUE & al. (2001) sur d'autres bases. Ils montrent aussi que si l'attention est le plus souvent portée sur les zones d'altitude du fait de leur richesse en endémiques, les régions de basses altitudes doivent également faire l'objet d'une attention de conservation, d'autant plus que la pression humaine y est généralement beaucoup plus forte, risquant de faire disparaître progressivement nombre de taxons rares. Le littoral est un cas particulier puisqu'il fait l'objet de nombreuses acquisitions de terrains de la part du Conservatoire du littoral (environ 25% du littoral corse) et de nombreuses actions de protections, notamment in situ et ex situ sur quelques espèces rares et emblématiques comme Anchusa crispa Viv., Silene velutina Loisel., etc. En revanche, cette attention est nettement moins marquée sur les étages thermo-, méso- et supraméditerranéen.

Connaître la distribution des taux relatifs des formes biologiques au sein de chacune des classes d'abondance revêt également un intérêt certain en conservation, notamment en ce qui concerne la flore à faible répartition (fig. 4). Les taxons supposés disparus (D?) montrent un très fort taux relatif de thérophytes (Khi2 partiel hautement significatif, p < 0,01) et un taux très bas en ce qui concerne les hémicryptophytes (p < 0,05) et, dans une moindre mesure, les phanérophytes (non significatif), comparés aux pourcentages observés sur l'ensemble de la flore. Les taxons très rares (RR) montrent une proportion relative élevée d'hydrophytes (6,6% vs 3,7%, p < 0,01) et faible en ce qui concerne les thérophytes (27,8% vs 32, 8%, p < 0,05), alors que les taxons rares (R) se caractérisent essentiellement par un taux de phanérophytes peu élevé (p < 0,05). Les taxons localisés (LOC) montrent un taux de thérophytes très bas (15,5% vs 32,8%, p < 0,01) et se caractérisent par un spectre très différent du spectre général de la flore indigène, avec un taux relatif élevé de chaméphytes (22,7%; p < 0,01), mais aussi de phanérophytes (16,5%, p < 0,01). Par ailleurs, les taxons très communs (CC) accusent une proportion particulièrement élevée de phanérophytes (16,1% vs 6,7%, p < 0,01), ce qui met en évidence la capacité de dominance d'une part importante des taxons ligneux, ainsi qu'un taux assez faible de géophytes (7,3% vs 12,7%; p < 0,05). Nos données rejoignent en partie celles de VERLAQUE & al. (2001) qui comparent la Corse avec la Provence, en mettant toutefois encore davantage en évidence la différence entre la Corse et le continent en ce qui concerne le taux de thérophytes disparus (56,6% vs 48,4%) et celui des hydrophytes (2,6% vs 5%), alors que celui des géophytes montre, selon nos calculs, un taux moindre (9,2% vs 12,7%) que celui indiqué en Corse par ces auteurs (15%).

Fig. 3.

Taux relatif des classes d'abondance dans les étages de végétation ainsi que pour la flore indigène totale (en % du total de chaque classe).

[Abréviations : n = total dans chacune des catégories ; D ?: disparu ?; RR : très rare ; R : rare; LOC: localisé ; PF : peu fréquent ; C : commun; CC: très commun]

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Fig. 4.

Taux relatif des formes biologiques dans chacune des classes d'abondance ainsi que pour la flore indigène totale.

[Abréviations : n = total dans chacune des catégories ; D ?: disparu ?; RR : très rare ; R : rare; LOC: localisé ; PF : peu fréquent ; C : commun; CC: très commun]

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La relation entre l'abondance et les divers types de milieux (tableau 6) se révèle moins hétérogène, mais permet de mettre en évidence les milieux qui seraient à protéger prioritairement. Ainsi les taxons disparus (D?) montrent un taux relatif de plantes rudérales et de cultures (42,42%; Khi2 partiel hautement significatif (p < 0,01) dans les deux cas) bien supérieur à celui de l'ensemble des plantes indigènes (16,63%). En ce qui concerne la classe RR, ce sont les plantes liées aux milieux aquatiques qui montrent un taux nettement supérieur à l'ensemble de la flore (3,48% contre 1,31%; p < 0,01), alors que les plantes des fruticées révèlent un taux significativement bas (p < 0,05). Pour les plantes localisées (LOC), la valeur élevée des fruticées ressort (p < 0,05), ainsi que celle, très faible, des taxons liés aux milieux rudéraux (p < 0,01). Pour les plantes communes (C), on remarque la faible représentation des taxons aquatiques (p < 0,05) et le taux élevé de plantes des fruticées (p < 0,05). Finalement, pour les plantes très communes (CC), se dégage la faible représentation des taxons liés aux milieux semi-aquatiques (p < 0,01), ainsi que des milieux humides et des ripisylves (p < 0,05), alors qu'elle est élevée pour les taxons des fruticées, des cultures (p < 0,01) et dans une moindre mesure des rudérales (p < 0,05).

Tableau 6.

Pourcentage dans chacune des classes d'abondance du nombre de taxons dans chaque type de milieux pour la flore indigène.

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Pour chaque degré de fréquence, le pourcentage des taxons liés à un substrat particulier est donné (fig. 5). Pour l'ensemble de la flore comme au sein de chaque catégorie de fréquence, le substrat le plus représenté est la silice. L'intérêt de ces données réside plutôt dans la différence du taux relatif de chacun des substrats au sein de chacune des catégories de fréquence. La flore liée à la silice ou indifférente au substrat est particulièrement riche en plantes communes (C) et très communes (CC; avec p < 0,01). Inversement, la flore spécifique des trois substrats peu répandus en Corse (calcaires, serpentinites et schistes) renferme un taux sensiblement plus important de taxons rares (R: 21,1%), localisés (LOC: 34,2%) et peu fréquents (PF: 26,3%) que ne le montre l'ensemble de la flore (17,7%). Le degré de rareté semble donc assez directement lié à la surface occupée par le substrat en question, sauf en ce qui concerne les catégories D? et RR qui ne répondent pas à ce schéma (p > 0,05). Par ailleurs, une analyse plus spécifique pour chacun des substrats (publication in prep.) fait ressortir que le degré de rareté est davantage marqué sur les calcaires (46,8% de taxons RR+R+LOC) que sur les serpentinites (25%), pourtant presque aussi rares que les calcaires, et que sur les schistes (33,9%) qui sont plus largement répandus.

En résumé, ces diverses analyses sur l'abondance des taxons montrent que la flore rare (R + RR), comme la flore localisée, se rencontrent essentiellement dans l'étage mésoméditerranéen, mais que la flore rare est liée aux milieux aquatiques ou sur calcaire, alors que la flore localisée concerne avant tout les chaméphytes, les fruticées et les plantes spécifiques aux schistes.

4. Types de longévité et formes biologiques

Pour la flore indigène de l'île, «Flora Corsica» fait ressortir 813 taxons annuels (36,34%), 150 bisannuels (6,71%) et 1419 pérennes (63,43%), sachant que certains taxons présentent plusieurs types (d'où un total supérieur à 100% lorsqu'il est calculé, comme ici, sur le nombre total de taxons). L'analyse plus détaillée des formes biologiques (tableau 7) montre une nette prédominance des hémicryptophytes (35,01%) et des thérophytes (32,85%).

Le tableau donne aussi la comparaison avec les grandes îles méditerranéennes et les territoires voisins pour lesquels nous avons pu trouver des données. Les chiffres obtenus pour la Corse ont été testés par rapport aux autres territoires en utilisant le test de Wilcoxon pour observations appariées. Les résultats montrent que la Corse ne diffère significativement (seuil à p < 0,05) qu'avec l'ensemble Provence-Var et Chypre, soit avec la région la plus septentrionale, ainsi qu'avec la région à la fois la plus méridionale et la plus orientale. Le test du Khi2 partiel montre que la Sardaigne, la Sicile, les Baléares, la Crète et Chypre ont un taux de thérophytes élevé (hautement significatif (p < 0,01)), ce qui est probablement imputable à leur position géographique plus méridionale (donc plus méditerranéenne) et à leur relief généralement moins accentué (sans ou avec peu d'étages de végétation non méditerranéens). L'archipel toscan avec ses 41,31% de thérophytes (Arrigoni & al., 2003) n'échappe pas à la règle. En revanche, il est plutôt surprenant que la Corse affiche un taux de thérophytes supérieur à la Toscane, située à la même latitude, ainsi qu'à la Ligurie et à l'ensemble Provence-Var (plus septentrionaux il est vrai, mais à relief moins accentué). En effet, contrairement à ce qu'écrivent Larrucea & Coll (2006) nous ne pensons pas que la proportion de thérophytes soit liée à la taille des îles, mais davantage au relief et à leur position latitudinale (et donc au climat). C'est d'ailleurs ce qui ressort de l'analyse de Pignatti (1994, fig. 26 à 28) sur l'Italie, qui montre que les thérophytes passent d'un taux inférieur à 10% pour les zones alpines du Nord, à un taux supérieur à 45% pour les zones basses de la Sardaigne et la Sicile au sud. Inversement, pour les hémicryptophytes, ce taux passe à un taux supérieur à 60% dans les Alpes au nord et inférieur à 25% au sud.

Fig. 5.

Taux relatif des plantes liées à un substrat particulier pour chaque classe de rareté pour la flore indigène de Corse.

[Abréviations : n = total dans chacune des catégories ; D ?: disparu ?; RR : très rare ; R : rare; LOC: localisé ; PF : peu fréquent ; C: commun; CC: très commun]

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Tableau 7.

Comparaison du taux relatif (en %) des formes biologiques de la flore Corse avec celle d'autres territoires, en particulier insulaires.

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En ce qui concerne les hémicryptophytes, la Corse montre un taux similaire à celui de la Toscane située à une latitude équivalente. En revanche, la Sardaigne, la Sicile, les Baléares, la Crète et Chypre montrent un taux significativement inférieur (Khi2 partiel hautement significatif (p < 0,01)) du fait de leur situation plus méridionale et de leurs reliefs moins marqués (à l'exception de la Sicile, qui culmine à 3330 m). Par ailleurs, les régions Provence-Var et Ligurie montrent un taux d'hémicryptophytes significativement supérieurs (p < 0,01) aux autres régions. Les géophytes sont particulièrement bien représentés en Crète (p < 0,01) et faiblement représentés aux Baléares (p < 0,05), ce qui tend à montrer que la proportion de géophytes tend à augmenter d'Ouest en Est, probablement en fonction de l'augmentation du degré de continentalité tel que défini par Gams (1931). La Corse se distingue de toutes les autres régions par son taux d'hydrophytes significativement bas (p < 0,05).

Fig. 6.

Taux relatif des diverses formes biologiques dans les étages de végétation de Corse ainsi que pour la flore indigène totale.

[Abréviations : n = nombre de taxons dans chacune des catégories ; Thér.: thérophytes ; Géo.: géophytes ; Hémi.: hémicryptophytes ; Cham.: chaméphytes ; Phan.: phanérophytes ; Hydr.: hydrophytes]

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Rappelons que, selon Raunkiaer (1934), l'augmentation du taux d'hémicryptophytes est lié à l'augmentation du froid comme à celle des précipitations, ce qui correspond aux modifications climatiques observées lors de l'élévation altitudinale. Cela devrait donc pouvoir se vérifier avec le taux relatif des formes biologiques dans les étages de végétation (fig. 6). En effet, on remarque une diminution du taux relatif de thérophytes dans les étages d'altitude (à partir du supraméditerranéen; Khi2 partiel hautement significatif (p < 0,01)) et, à contrario, un taux plus élevé pour les hémicryptophytes également à partir du supraméditerranéen (p < 0,01), ce qui confirme l'analyse territoriale effectuée précédemment. Comparativement aux proportions relevées sur l'ensemble de la flore, les hydrophytes sont particulièrement présents dans l'étage mésoméditerranéen (60,2% vs 27,0%, p < 0,01), alors que les thérophytes sont, proportionnellement à la surface et au nombre de taxons, particulièrement bien représentés dans le thermoméditerranéen. On remarquera également le taux comparativement important de chaméphytes dans l'oroméditerranéen, l'alpin et aussi sur le littoral (p < 0,01) et d'hémicryptophytes dans l'étage subalpin. Les géophytes (p < 0,01) et les phanérophytes (p < 0,05) sont particulièrement bien représentés dans le mésoméditerranéen. Ces chiffres confirment en partie la relation altitude — formes biologiques donnée par Verlaque & al. (2001). Les chaméphytes constituent le groupe qui diminue le plus régulièrement avec l'augmentation de l'altitude, ce qui va dans le sens des observations de Floret & al. (1990) d'une relation entre les chaméphytes et les sites les plus chauds et secs. Néanmoins, leur proportion est significativement élevée (p < 0,01) dans l'oroméditerranéen et l'alpin, ainsi que sur le littoral.

5. Phénologie

La courbe des dates de floraison (fig. 7) peut paraître un peu surprenante pour une région méditerranéenne où l'on s'attend à une floraison plutôt centrée sur le mois de mai et avec une certaine reprise en automne. Mais il faut se souvenir que la Corse est aussi une montagne élevée, avec des floraisons estivales pour les zones d'altitude. Cela décale la courbe vers des maxima en mai-juin-juillet, comme on peut en trouver dans les régions tempérées plus septentrionales. Il est intéressant de noter qu'au mois de juin, 71,35% des taxons de la flore indigène sont potentiellement en fleurs, alors qu'aux mois de décembre ou de janvier, il y a moins de 1,6% des taxons fleuris.

Fig. 7.

Courbe de floraison de la flore corse en fonction du nombre total de taxons en fleurs chaque mois.

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Les courbes de floraison par étage de végétation (fig. 8) sont beaucoup plus parlantes et permettent de retrouver des courbes plus typiquement méditerranéennes dans les étages de basse altitude. Pour ces derniers, les courbes de floraison sont plus étalées avec un net décalage des pics de floraison entre les étages (mois de mai pour le littoral et le thermoméditerranéen et juillet pour les étages oroméditerranéen, subalpin et alpin). Les floraisons étant moins étalées dans le temps pour les étages altitudinaux, on peut constater qu'au mois de juillet 94,2% des taxons de la flore de l'étage alpin, 83,9% de celle du subalpin et 89,5% de l'oroméditerranéen sont en fleurs! Il est enfin intéressant de constater la légère reprise de floraison à partir de septembre pour les plantes des étages de basse altitude (littoral et thermoméditerranéen). Les études phénologiques faites au Proche-Orient (Ne'Eman, & Goubitz, 1999) indiquent des pics en avril et des reprises un peu plus importantes entre septembre et janvier, mais il s'agit là de territoires plus méridionaux.

Les courbes de floraison des diverses formes biologiques (fig. 9) montrent, dans leur ensemble, que ce sont les phanérophytes qui démarrent leur floraison le plus rapidement, suivis de près par les géophytes, puis les thérophytes. Les hémicryptophytes et les hydrophytes sont nettement décalés de près de deux mois et les chaméphytes se situent entre deux. La reprise automnale ne se marque que chez les phanérophytes et les thérophytes et un peu plus faiblement chez les géophytes, pas du tout chez les autres. Les géophytes sont les seuls à montrer un très net fléchissement au mois de juin.

Fig. 8.

Comparaison des courbes de floraison de la flore indigène corse pour chacun des étages de végétation (en % sur le nombre total de taxons par étage).

[Abréviation : n = nombre total de taxons par étage]

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Fig. 9.

Comparaison des courbes de floraison des diverses formes biologiques de la flore corse (en % sur le nombre total de taxons par forme biologique).

[Abréviations : n = nombre total de taxons par étage ; Phan : phanérophytes ; Cham: chaméphytes ; Hémi : hémicryptophytes ; Géo : géophytes ; Thér : thérophytes ; Hydr : hydrophytes]

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L'analyse des dates de floraison dans les divers milieux (fig. 10) montre que les floraisons se décalent nettement dans les milieux aquatiques et semi-aquatiques et surtout dans les mégaphorbiées, ce dernier cas étant principalement dû au fait que ce milieu se trouve davantage en altitude comme on pourra le constater dans l'analyse des milieux (publication in prép.). Cette analyse indique également le pourcentage attendu de plantes en fleurs à tel ou tel mois de l'année ce qui permet de cibler très précisément le «meilleur mois» pour une étude consacrée à tel ou tel milieu. Le mois de juillet devrait ainsi permettre de voir la quasi totalité (92,1%) des plantes aquatiques en fleurs de même que 90% des plantes de mégaphorbiées. En revanche, le mois de juin est préférable pour observer la flore des rochers (avec 72,2% des plantes en fleurs) et le mois de mai pour les plantes des pelouses (74,5% en fleurs) et des fruticées (74% en fleurs).

Fig. 10.

Comparaison des courbes de floraison dans les plantes des divers types de milieux de la flore indigène corse (en % du nombre total de taxons par type de milieux).

[Abréviation : n = nombre total de taxons par étage]

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L'analyse de la phénologie par substrat (non représentée ici) montre que c'est sur les calcaires et les schistes que la flore est la plus printanière, avec un pic en mai (respectivement 76,9% de la flore et 74,1%), suivie ensuite par celle sur les serpentinites et les roches siliceuses au mois de juin (77,3% et 70,4%). L'analyse montre aussi que sur les substrats siliceux, la floraison s'étale bien davantage sur l'automne, mais ce résultat est probablement dû au fait que ce substrat est répandu sur tous les étages de végétation, alors que les trois autres substrats se rencontrent essentiellement à basse altitude. Seules des études localisées, à altitudes comparables, pourraient montrer s'il existe une réelle différence entre les substrats.

Conclusions

Ces diverses analyses montrent que les multiples données issues d'une flore (en tant qu'ouvrage de synthèse) représentent un outil analytique floristique, biogéographique et écologique très important, même s'il est le plus souvent totalement ignoré. En ce qui concerne la Corse, elles ont permis de comparer la flore de l'île avec celle des territoires voisins et de mettre en évidence certaines de ses spécificités comme certains patrons de distributions.

La comparaison taxonomique avec la Sardaigne et l'Italie fait ressortir un plus fort pourcentage de taxons communs avec l'Italie qu'avec la Sardaigne. Si cela s'explique par les reliefs accentués qu'ont en commun la Corse et l'Italie, cela montre aussi la possibilité importante de la colonisation à partir d'un territoire pourtant relativement distant.

La comparaison avec la flore des territoires voisins montre que, sous certains aspects comme les proportions des Ptéridophytes, des principales familles d'Angiospermes et des types biologiques, la Corse diverge à la fois des grandes îles méditerranéennes voisines et des territoires continentaux environnants, mais sans globalement s'en démarquer significativement. Elle montre généralement une position intermédiaire entre les îles méditerranéennes et les territoires plus septentrionaux, ce qui provient de la double influence climatique qu'elle subit: un climat méditerranéen marqué à basse altitude et un climat nettement plus tempéré, engendré plus haut par ses reliefs accentués. Au sein même de la zone méditerranéenne, l'analyse des formes biologiques montre que les plus grandes divergences avec la Corse sont observées avec les zones géographiques les plus septentrionales (Var et Provence) ainsi qu'avec l'île la plus méridionale et orientale (Chypre), alors que la Toscane et la Sardaigne voisines montrent la plus grande similarité avec la Corse. L'insularité ne semble donc pas jouer de rôle à ce niveau. En revanche, elle en joue un dans la richesse spécifique puisque, compte tenu de leur surface et à l'exception de la Corse, toutes les grandes îles méditerranéennes montrent une richesse plus basse que celle des territoires continentaux voisins.

La spécificité de la Corse apparaît sur trois aspects:

  1. bien que ce soit une île, sa richesse spécifique en plantes vasculaires est équivalente à celle des territoires continentaux voisins et supérieure à celle des autres îles méditerranéennes. Cela est certainement dû au relief accidenté et à la très grande amplitude altitudinale qui fournissent une grande diversité de milieux;

  2. par comparaison avec les autres territoires analysés, tant méditerranéens que tempérés, elle montre un taux particulièrement élevé d'Asteraceae et particulièrement bas de Brassicaceae;

  3. elle montre également un taux significativement bas d'hydrophytes.

L'analyse des différences latitudinales entre la Corse et les autres territoires méditerranéens ou tempérés, croisées avec celles, altitudinales, des étages de végétations au sein même de l'île (méditerranéens à basse altitude et tempérés à haute altitude), fait ressortir des patrons de distribution pour trois familles. La proportion élevée de Fabaceae, accompagnée d'une proportion basse de Rosaceae et de Scrophulariaceae, permet ainsi d'estimer la «méditerranéité» du territoire. Notre analyse confirme également le patron de la diminution de la proportion de thérophytes avec la latitude comme avec l'altitude, mais aussi des chaméphytes au sein des étages, ce qui serait à vérifier pour la latitude. L'augmentation connue des hémicryptophytes avec la latitude est partiellement corroborée en Corse avec l'altitude.

Au sein de l'île, l'analyse des classes d'abondance montre une proportion élevée (40%) de taxons à faible répartition pour lesquelles des mesures de protection ou de gestion sont susceptibles d'être envisagées. Mais, contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce ne sont pas les étages les plus élevés qui regroupent la plus grosse proportion de plantes rares (R) ou très rares (RR) (et donc susceptibles d'être protégés), mais l'étage mésoméditerranéen auquel on ne prête souvent qu'une faible attention. En revanche, nos données confirment qu'en Corse, ces taxons rares ou très rares sont souvent liés au substrat calcaire et que les taxons très rares comportent beaucoup d'hydrophytes. Ces résultats qui permettent de prioriser les actions de gestion sont confirmés par la mise en évidence de la relation entre la fréquence des taxons et le milieu qu'ils occupent. Les espèces disparues sont fortement corrélées aux milieux culturaux et rudéraux, les espèces très rares au milieux aquatiques, les localisés aux fruticées.

Le spectre des formes biologiques montre à quel point ceux-ci sont représentatifs du climat local façonné par un jeu entre la position latitudinale du territoire et son altitude. Ainsi, l'étage thermoméditerranéen est caractérisé par une proportion élevée de thérophytes, l'étage mésoméditerranéen par une proportion très élevée d'hydrophytes et phanérophytes, l'étage supraméditerranéen et le subalpin plutôt par une proportion élevé d'hémicryptophytes, l'étage montagnard par une proportion très faible d'hydrophytes, l'étage oroméditerranéen par un taux particulièrement élevé de chaméphytes et l'étage alpin par une proportion très faible, à la fois, de phanérophytes et de thérophytes. La proportion de chaméphytes semble être un bon indicateur pour les étages de végétation (diminution en fonction de l'augmentation de l'altitude), alors que la proportion de géophytes semble être un bon indicateur pour le degré de continentalité (diminution selon un axe ouest-est), ce qui serait à vérifier par l'analyse d'autres territoires.

Enfin, l'analyse de la phénologie montre que le décalage des floraisons d'un étage à l'autre permet d'observer jusqu'à 71,35% de la flore corse en fleurs au mois de juin.

Remerciements

Tous nos remerciements vont à Nicolas Wyler pour le calcul des surfaces des étages et des substrats en Corse, à Yamama Naciri et Pascal Martin pour leurs conseils en matière de statistiques, à Mathieu Perret pour son aide dans la réalisation des figures et enfin à David Aeschimann, Pascal Martin, Yamama Naciri et Nathalie Rasolofo pour leur relecture attentive du texte et leurs remarques constructives.

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© CONSERVATOIRE ET JARDIN BOTANIQUES DE GENÈVE 2011
Daniel Jeanmonod, André Schlüssel, and Jacques Gamisans "Analyse de la Flore Corse: Aspects Biologiques," Candollea 66(1), 5-25, (1 July 2011). https://doi.org/10.15553/c2011v661a1
Received: 30 November 2009; Accepted: 12 November 2010; Published: 1 July 2011
KEYWORDS
Biological types
Corsica
diversity
ecology
Endemism
flora
floristics
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