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1 June 2017 L'Herbier Burnat (G-BU)
Daniel Jeanmonod, André Charpin
Author Affiliations +
Abstract

Jeanmonod, D. & A. Charpin (2017). The Burnat Herbarium (G-BU). Candollea 72 : 143–153. In French, English and French abstracts. DOI: http://dx.doi.org/10.15553/c2017v721a10

Emile Burnat (1828–1920) bequeathed his herbarium to the CJBG in 1911. It has been kept separate from the general collection G under the acronym G-BU. It consists of 1,572 boxes containing 219,843 specimens. It is divided into three parts : the European herbarium (1,169 boxes), the Maritime Alps herbarium (379 boxes) and the Thuret herbarium (24 boxes), also from the Maritime Alps. Burnat's personal collections and the ones of his collaborators reach 42,727 specimens and are mainly from the Maritime Alps, Switzerland and Corsica. The European herbarium is organized according to the Nyman Conspectus. The most original part is the Corsican collection (about 8,000 specimens), which served as a base for Briquet and Litardière's Prodrome de la Flore Corse. The herbarium of the Maritime Alps, including some 55,000 specimens, is organized according to the Flore des Alpes maritimes of Burnat. It represents the backbone of that work. The Thuret herbarium, given to Burnat in 1875, is organized according to the Flore analytique des Alpes maritimes of Ardoino. It contains about 3,500 specimens. The whole Burnat herbarium is in excellent condition, and therefore represents an heritage and a scientific interest of great value.

Introduction

Emile Burnat (Fig. 1) est né le 31 octobre 1828 à Vevey. Selon sa propre autobiographie (Briquet & Cavillier, 1922), il fait ses études à Vevey puis à Genève. Il y étudie notamment la botanique avec Alphonse de Candolle et rencontre entre autres Georges François Reuter (1805–1872), Charles Isaac Fauconnet (1811–1876) et Edmond Boissier (1810–1885). Il va ensuite à Paris où il obtient un diplôme d'ingénieurmétallurgiste à l'Ecole Centrale en 1851. Il part cette année même à Mulhouse où il est engagé dans l'établissement Dollfus-Mieg & Cie dirigé par son oncle, Jean Dollfus. Il épouse d'ailleurs l'année suivante la fille de ce dernier, Emilie. Puis en 1870, il s'établit à Nant-sur-Vevey, dans la propriété léguée par son grand-père. Il quitte l'entreprise Dollfus-Mieg deux ans plus tard (1872) pour se consacrer alors à la botanique. Il part notamment voyager pour approfondir ses connaissances floristiques. Il rencontre entre autres à Cannes les botanistes Gustave Thuret (1827–1875) et Edouard Bornet (1828–1891) qui le poussent à l'étude de la flore des Alpes maritimes, ce qu'il entreprend pratiquement le reste de sa vie (voir ci-dessous). Dès lors son herbier s'accroît considérablement. Burnat engage alors un suédois Theodor Brown (1845–1893) de 1872 à 1874, puis August Gremli (1833–1899) comme conservateur jusqu'en 1899 mais aussi Jean-Jacques Vetter (1826–1913) comme préparateur de 1880 à 1894. En 1887, il engage également François Cavillier (1868–1953) comme aide préparateur. Celui-ci succède en 1894 à Vetter comme préparateur puis en 1899 à Gremli comme conservateur. Cavillier participe dès 1890 à tous les voyages de Burnat et collabore avec lui pour sa Flore des Alpes maritimes [Flore des Alpes] (Burnat, 1892–1931). Par ailleurs Burnat demande en 1890 à John Briquet (1870–1931) sa collaboration. Dès lors naît entre eux «un commerce scientifique intime et une profonde amitié réciproque» selon les mots de Burnat (Briquet & Cavillier, 1922 : 36). Il faut enfin signaler l'engagement d'Emile Samuel Abrezol (1877–1940 ?) dès 1898 comme aide-préparateur.

Dès 1895 Burnat cherche un asile pour ses collections, tant son herbier que sa bibliothèque. Après avoir renoncé à Lausanne (locaux trop vétustes), il se tourne vers Genève et, après bien des discussions (Bungener, 2015 : 87), signe avec la Ville de Genève une convention en février 1903 (Anon., 1903). Celle-ci lui permet de déposer son «herbier européen» dans le bâtiment nouvellement construit de La Console en 1904 pour abriter les herbiers des Conservatoire et Jardin botaniques de Genève (CJBG). Quelques années plus tard, en janvier 1911, il signe un acte de donation de l'ensemble de ses collections (herbiers, bibliothèques et objets divers) (Anon., 1911 ; Briquet & Cavillier, 1922). Mais la taille de son «herbier des Alpes maritimes» nécessite un agrandissement de la Console. Une annexe du sous-sol et du rez est alors construite en 1912 grâce notamment à une participation financière de Burnat lui-même. L'herbier des Alpes maritimes et l'herbier Thuret qui l'accompagne ne rejoindront toutefois la Console qu'à la mort de Burnat en 1920. Cavillier sera «légué» avec l'herbier à la Ville de Genève et continuera à travailler sur cet herbier en collaboration avec Briquet.

Depuis cette date les collections botaniques de Burnat sont donc déposées aux CJBG où elles forment un herbier séparé et clos (G-BU) indépendant de l'herbier général (G), puisque ces échantillons sont exclus du prêt conformément au désir du donateur (Anon., 1903, 1911 ; Burdet, 2006).

Comme présenté plus loin, ces collections sont très distinctement divisées en trois parties : l'herbier principal européen, l'herbier des Alpes maritimes et l'herbier Thuret-Bornet, également sur les Alpes maritimes.

L'ensemble de ces collections correspond à 219 843 spécimens selon Briquet & Cavillier (1922), ou à 218 873 selon un registre présent dans le fonds d'Emile Burnat intitulé Herbier Burnat - Origines - Résultats des voyages botaniques - Achats d'exsiccata - Dons - Echanges [Manuscrit de l'herbier Burnat] (Anon., s.d.) (Fig. 2) - les chiffres donnés sont légèrement différents et l'on ne sait pas quel document a suivi et peut-être amendé l'autre. Ce Manuscrit de l'herbier Burnat est un document précieux, sans date ni auteur, probablement rédigé par Cavillier. Il donne une liste, année après année, du nombre d'échantillons récoltés par Burnat ou par ses collaborateurs sous son égide. Cette liste est suivie du nombre d'échantillons acquis (par achats, échanges ou dons), année après année, par Burnat pour son herbier.

Structure et organisation générale de l'herbier

L'herbier Burnat est constitué de trois séries de boîtes numérotées.

  • — L'herbier européen constitué de 1 169 boîtes, incluant une partie corse (Fig. 3).

  • — L'herbier des Alpes maritimes de 379 boîtes.

  • — L'herbier Thuret de 24 boîtes.

Les échantillons sont fixés sur de simples papiers, regroupés (pour le même taxon) dans une fourre de papier avec une étiquette (en bas à gauche) portant le nom du taxon ainsi que d'autres informations comme on le verra plus loin pour chacun des herbiers.

L'herbier n'est pas organisé dans un ordre alphabétique mais il suit l'ordre de trois ouvrages de références de l'époque : le Conspectus Florae Europaeae [Conspectus] (Nyman, 1878–1882) valable pour l'Europe, la Flore des Alpes de Burnat et la Flore analytique du département des Alpes maritimes [Flore analytique] (Ardoino,1867) pour l'herbier Thuret. Le détail organisationnel de ces trois herbiers sera présenté plus loin.

Fig. 1.

Portrait d'Emile Burnat (1828–1920).

[Bibliothèque des Conservatoire et Jardin botaniques de Genève]

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Relevons simplement ici que pour se repérer dans l'herbier, on trouve, outre les ouvrages en question, un élément essentiel : un carnet manuscrit séparé en deux parties : Europe (65 pp.) et Alpes maritimes (38 pp.). Pour chaque partie une liste alphabétique des familles et des genres est donnée avec les correspondances suivantes : sur la colonne de gauche : numéro de la (ou des) boîte(s) contenant la famille et le genre ; sur la colonne de droite : page de l'ouvrage de référence (Conspectus ou Flore des Alpes), Ce carnet est particulièrement précieux pour localiser les espèces.

Deux autres carnets manuscrits (Fig. 4) accompagnent encore l'herbier : le Catalogue de l'herbier Burnat [Catalogue de Burnat] (Burnat, 1904–1909) et son Supplément [Supplément du Catalogue de Burnat] (Burnat, 1909–1920). Le Catalogue de Burnat donne, sous forme de trois colonnes, la liste des numéros des boîtes de l'herbier général d'Europe, avec la correspondance de la ou des familles ainsi que du ou des genres de cette boîte ainsi que la correspondance au volume et page du Conspectus de Nyman. On peut ainsi y lire par exemple une ligne mentionnant le contenu de la boîte n° 5 «5. Renonculacées : Anemone 10–12*, Hepatica, Adonis 1–6*», Nyman : «3–4».

Le Catalogue de Burnat est suivi d'une table des genres par ordre alphabétique avec les numéros des boîtes renfermant ce genre, par exemple «Aegilops : 963–964».

Contenu de l'herbier

Il semblerait que les deux buts essentiels de Burnat étaient : (1) de rassembler le maximum d'échantillons des Alpes maritimes afin d'en établir une flore aussi complète que possible ; (2) rassembler toutes les espèces citées dans le Conspectus, ouvrage ayant servi à organiser l'herbier général de Burnat.

Ce second but a presque été atteint puisqu'à la mort de Burnat, la collection contenait 8840 espèces sur les 9395 du Conspectus, soit à 555 unités du but selon Burdet (2006).

On comprendra dès lors que l'herbier Burnat renferme ses propres récoltes (42 727) mais également de nombreuses autres suite à des échanges, des dons ou des achats (177 116). On comprend aussi aisément que cette collection est particulièrement riche en plantes des Alpes maritimes, mais aussi en plantes de l'ensemble de l'Europe du fait de la dition européenne du Conspectus. Cette collection s'avère également particulièrement riche en plantes corses du fait de la présence des plantes corses récoltées par Briquet sous l'égide de Burnat.

Voyages et récoltes de Burnat

Pour comprendre le contenu de l'herbier de Burnat, on doit d'abord se référer à ses voyages de récoltes. Selon les données citées par Briquet & Cavillier (1922), durant 28 ans, de 1842 à 1870, Burnat explore essentiellement le territoire suisse en débordant parfois jusqu'en Alsace, au Piémont, en Allemagne et exceptionnellement jusqu'aux Alpes maritimes et même jusqu'en Corse en 1847.

Puis, pendant plus de 40 ans, de 1871 à 1914, il se concentre principalement sur les Alpes maritimes, (y compris la partie italienne), bien qu'il fasse quelques voyages jusqu'à la Grèce et Constantinople (en 1889), aux Baléares et en Espagne (1894), en Corse (avec Briquet en 1900, 1904 et 1906). Enfin de 1915 à 1917, ses derniers voyages ne concernent que la Suisse.

L'ensemble des récoltes de Burnat et de celles faites sous ses auspices par ses collaborateurs s'élève à 42 727 selon Briquet & Caviller (1922) dont 5701 en Suisse, 29 203 dans les Alpes maritimes, 5 249 en Corse et 2574 dans d'autres pays.

Organisation de l'herbier

1. L'herbier européen

Histoire de sa consitution

Comme mentionné plus haut l'herbier européen est organisé dans un ordre taxonomique propre à l'époque selon le Conspectus. L'ouvrage original utilisé dans ce but accompagne d'ailleurs toujours l'herbier. Il est abondamment annoté.

Dans cet ouvrage, les familles sont numérotées en chiffres romains (I à CXLIX), puis au sein de chaque famille les genres sont numérotés à partir de 1 en chiffres arabes puis, au sein de ceux-ci, les espèces également en chiffres arabes à partir de 1 pour chacun des genres. Cet ouvrage, comme l'Herbier Burnat lui-même comprend tant les Angiospermes (de I : Ranunculaceae à CXXXIX : Gramineae) que les Ptéridophytes (CXL : Equisetaceae à CXLVIII : Lycopodiaceae) et les Characeae (CXLIX). Il n'y a ni Bryophytes ni Champignons et les Gymnospermes sont considérées comme des Dicotylédones et placées à la fin de celles-ci. L'absence de Cryptogames autres que Fougères et Characées s'expliquent par le fait que ceux-ci ont été donnés à l'herbier Delessert en 1908 déjà (517 hépatiques, 901 lichens, 502 algues, 1 243 champignons) puis une autre partie (5 125 Bryophytes) en 1920 où elles ont été séparées de l'herbier Burnat et mises dans la collection générale de l'herbier Delessert.

Ces numérotations du Conspectus sont reprises telles quelles dans l'herbier Burnat. Toutes les espèces présentes dans l'herbier ont d'ailleurs été soulignées dans l'ouvrage de Nyman. C'est ainsi que l'on peut constater que rares sont celles qui ne sont pas présentes dans l'herbier. Nyman ne numérotait pas toutes les espèces mais uniquement celles qu'il considérait comme fondamentales et qu'il faisait parfois suivre par une série d'espèces non numérotées. Par exemple «24. Polygonum aviculare L.» est suivi de P. erectum, P. monspelliense, P. agrestinum, etc. Dans l'herbier ces espèces sont numérotées comme «24*». On remarquera également que l'évolution des connaissances a obligé Burnat à ajouter des espèces tant à l'encre sur l'ouvrage de Nyman que dans l'herbier. Ces ajouts porte le numéro de la plante proche suivi d'un a, b, c… ou d'un astérisque.

Dans l'herbier, pour chacune des espèces présentes, les échantillons sont placés dans diverses fourres selon la provenance géographique que l'on retrouve indiquée sur l'étiquette de celle-ci. Cette séquence numérotée est la suivante : 1 Rossia ; 2 Serbia, Montenegro, Graecia, Peninsula balcanica ; 3 Austro-Hungaria ; 4 Scandinavia ; 5 Germania ; 6 Brittania ; 7 Italia, Sicilia, Sardinia ; 8 Corsica ; 10 Gallia ; 11 Peninsula Iberica. Comme on le remarque, il n'y a pas de numéro 9. De fait, à cet endroit se trouvent toujours les plantes de Suisse avec une étiquette bleue particulière et sur celle-ci, la référence à la Flora Helvetica (Gaudin, 1828–1830), par ex. «Polygonum dumetorum L. Gaudin Fl. Helv. T.3 p.48».

L'herbier européen comprend entre 160 000 et 165 000 échantillons si l'on se base sur le nombre de boîtes (1 169) et le total des échantillons des trois séries de boîtes (219 843 pour 1 572 boîtes). On y trouve évidemment les récoltes effectuées par Burnat ou sous ses auspices, à savoir 5 701 parts de Suisse, 5 249 parts de Corse et 2 774 parts d'autres pays (voir plus haut). Outre ces échantillons, on y trouve des récoltes de 225 collecteurs différents mais aussi de 107 sociétés d'échanges ou de collections particulières diffusées, selon le relevé détaillé de Burdet (2006). Parmi les 10 collecteurs importants (en nombre d'échantillons) on trouve selon Briquet & Cavillier (1922) : F. Schneider (7 026), Frère Sennen (3 887), T. de Heldreich (3 631), E. Reverchon (3 536), A. Baldacci (2 764), O. Weigel (2 311), L. Leresche (2 289), T. Huter, P. Porta et G. Rigo (2 259), A. Callier (2 101) et T. Pichler (2 098). Parmi les sociétés, on relèvera l'«Herbier européen» de E. Cornaz (22 135), l'«Herbarium normale» de F. Schultz (5 600), la «Société dauphinoise d'échanges» (5 348), le «Flora exsiccata austro-hungarica» de A.J. Kerner von Marilaun et R. von Wettstein (4 200), la «Flora selecta» de C. Magnier (4 116), la «Société helvétique d'échange» (3 215), l'«Herbarium Europaeum» de C. Baenitz (2 954), la «Flora gallica et germanica» de P.C. Billot (2 779) et la «Société vogéso-rhénane» (2 616).

En ce qui concerne la répartition par grandes régions, les relevés du registre ne permettent pas un calcul précis mais, tout au moins, un nombre minimum en fonction des collections les plus importantes. On relèvera dans l'ordre décroissant, la Péninsule ibérique (> 18 768) ; la Suisse (> 16 641 avec les récoltes de Burnat), l'Allemagne-Autriche (> 16 019), l'Italie (> 15 278) puis la France sans les Alpes maritimes (> 10 905) etc.

Pour la Péninsule Ibérique on relèvera les collections prépondérantes de Frère Sennen (3 887 échantillons) et de Huter, Porta et Rigo ( 1624) mais aussi la présence de récoltes de Boissier et de M. Willkomm par exemple. Pour l'Allemagne et Autriche Hongrie, ce sont les échantillons de «Flora exsiccata austro-Hungarica» de Kerner et Wettstein (4 200), «Flora Bavarica exsiccata» (1 845), du «Comptoir d'Echange de Vienne» de A. Skofitz (1 473), «Flora Bohemiae et Moraviae exsiccata» de F. Petrak (1 215). Enfin pour l'Italie, on relèvera les récoltes de M. Lo Jacono-Pojero (1 200), Rigo (1 008), mais aussi de «Flora italica exsiccata» de R. Pampanini, A. Fiori & A. Béguinot (2 451) et de «Flora sicula exsiccata» de A. Todaro (1 400). Les échantillons en provenance de France sont dominés par les récoltes de E. Reverchon (2 239) mais on y trouve une quinzaine de botanistes classiques (A. André, A. Autheman, H. Bordère, C. Flahaut, A. Le Grand, etc.). Les exsiccatas suisses sont dominés par ceux de Schneider (70 %) mais on y trouve d'autres botanistes comme H. Christ, E. Thomas, F.O. Wolf ou encore les ronces genevoises de A. Schmidely (Burdet, 2006).

Fig. 2.

Couverture du Manuscrit de l'herbier Burnat.

[Bibliothèque des Conservatoire et Jardin botaniques de Genève]

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La partie corse

L'herbier Burnat était en 1920 l'herbier le plus riche qui soit en échantillons corses. Aujourd'hui encore cette partie reste particulièrement intéressante malgré les nombreuses autres récoltes (voir Jeanmonod, 2017). Ceci s'explique par le fait que Burnat s'était intéressé à cette île dès son premier voyage en 1847, certainement parce qu'il y voyait comme un prolongement des Alpes, une montagne dans la mer. Il avait même envisagé de travailler sur cette flore avant de tomber sous le charme des Alpes maritimes et de changer son objectif (Briquet & Cavillier, 1922). Toutefois son intérêt restait et c'est au travers de Briquet qu'il réalise ce premier voeu. Sous ses auspices et avec sa participation au début (1900, 1904 et 1906), huit expéditions ont lieu sur cette île (les suivantes en 1907, 1908, 1910, 1911 et 1913). Toutes les récoltes issues de ces expéditions se trouvent dans l'herbier Burnat : 5249 parts (selon Briquet & Cavillier, 1922). Mais Burnat acquiert aussi des récoltes d'autres collecteurs. On a pu ainsi en relever une cinquantaine et parmi eux, on notera en importance les récoltes de E. Reverchon (692), P. Mabille (411), J. Brugère, O. Debeaux et J. Stefani (quelques centaines). Il est difficile de comptabiliser le nombre de parts corses totales de l'herbier Burnat puisque seule une partie de cet herbier a été numérisée, mais on peut les estimer à environ 8 000 sur la base des chiffres ci-dessus et de la numérisation à environ 40% déjà effectuée (2 898 spécimens). Ce sont ces récoltes qui ont servi de socle à l'élaboration du Prodrome de la flore Corse [Prodrome] (Briquet, 1910–1913 ; Briquet & Litardière, 1936–1955). On y trouve ainsi les types (environ une centaine) des nombreux taxons corses décrits par Briquet mais aussi d'autres botanistes comme G. Beck, R. Buser, R. de Litardière, E. Hackel, K. Ronniger et Burnat lui-même !

Synthèse

L'herbier européen comprend 160 000 à 165 000 échantillons présentant une répartition relativement homogène des grandes régions européennes, de la Péninsule ibérique à la Grèce. Seuls les pays du nord semblent moins bien représentés. En revanche, avec environ 8 000 échantillons, la partie Corse est particulièrement bien représentée compte tenu de la petitesse du territoire. Elle revêt une importance particulière en tant que socle du Prodrome (Briquet, 1910–1913 ; Briquet & Litardière, 1936–1955) et des travaux plus récents du projet Flore corse.

2. L'herbier des Alpes maritimes

Histoire de sa constitution

L'autobiographie de Burnat (Briquet & Cavillier, 1922) nous renseigne de manière très précise sur les activités botaniques de Burnat, en particulier en ce qui concerne les Alpes maritimes. Après avoir quitté Mulhouse et «les affaires industrielles qui exigaient une participation continue», il vient dès 1871 herboriser de février à fin mai dans les environs de Cannes et de Menton ainsi que dans le département du Var avec A. Huet, Authemann et H. Roux. C'est la même année qu'il rencontre pour la première fois Thuret et Bornet. 150 plantes récoltées lors de ces différentes excursions viennent enrichir son herbier qui jusqu'alors comptait 2 920 parts provenant surtout de Suisse et de zones proches (par exemple d'Alsace et du val d'Aoste, mais aussi, comme indiqué précédemment, de Corse en 1847). De décembre 1872 jusqu'en juin 1914, il viendra presque chaque année herboriser dans les Alpes maritimes, soit seul, soit avec ses collaborateurs directs ou avec d'autres botanistes (Fig. 5). Quelques années font néanmoins exceptions. En 1873 il est en séjour au Tyrol. En 1878, il est malade. En 1881, il herborise aux Baléares et Espagne avec Boissier, W. Barbey et Leresche. En 1889, il effectue un voyage en Grèce et en Turquie avec Jean et Michette Burnat et A. de Muralt. En 1894 et 1910, il visite l'Italie et la Corse. Le dernier voyage de Burnat dans les Alpes maritimes aura lieu du 1er au 26 juin 1914. 800 parts d'herbier y sont récoltées. Quelques détails sont précisés lors de ses voyages. En 1883 il a «trouvé la première station française de Saxifraga florulenta». En 1884, en raison d'une «quarantaine de 5 jours à la frontière pour cause de choléra», il «perd toute [sa] récolte de 3 jours par un accident de mulet». En 1887, il y a 38 jours de voyage dont 14 jours de pluie. Parmi les botanistes qui ont accompagné Burnat citons C. Bicknell, J. Briquet, l'abbé H. Coste, E. Ferrari, le pasteur L. Leresche, H. de Maupassant, le baron R. de Nanteuil, l'abbé A. Pons, le commandant A. Saint-Yves, le capitaine L. Verguin, E. Wilczek.

L'herbier des Alpes maritimes s'est également enrichi des nombreux dons, échanges ou achats pratiqués par Burnat. Ce dernier faisait partie d'un certain nombre de sociétés d'échanges, très actives au 19e et au début du 20e siècle. Citons la Société Vogéso-rhénane d'échanges (1863–1870), la Société helvétique d'échanges (1872–1883), la Société dauphinoise d'échanges (1875–1892) ou encore la Société pour l'étude de la flore Franco-helvétique (1891–1914). Parmi ses correspondants - et en nous limitant à ceux qui lui ont fait parvenir des plantes de la Flore des Alpes - citons, de manière non exhaustive, les plus importants : A. Albert, C. Bicknell, H. Hanry, J.T. Moggridge, R.J. Shuttleworth, G. Gentile, le capitaine J. Brugère dont il héritera de l'herbier en 1920 (727 parts des Alpes maritimes), E. Reverchon avec lequel il a eu des relations épistolaires mouvementées. Burnat a en outre hérité en 1875 de l'herbier Thuret (voir paragraphe suivant), et, en 1885, de 2 000 parts de l'herbier Leresche à prendre dans son herbier légué au musée de Lausanne. Avec l'aide de Gremli il en a récupéré 1964. Il a acheté en 1899 l'herbier des Alpes maritimes de l'abbé P. Consolat (1841–1911) dont environ 2 500 parts ont été conservées. En 1904, Burnat achète également l'herbier de E. Cornaz, médecin de Neuchâtel contenant seulement 268 plantes des Alpes maritimes sur un total, après destruction de centaines de parts détruites par les insectes, de 21 884 parts. En 1920, il acquiert enfin l'herbier de R. Brémont dont les plantes sont bien récoltées et empoisonnées au sublimé mais dont les étiquettes sont écrites au crayon.

Fig. 3.

Herbier Burnat : specimens, boîtes de rangement et compactus de G-BU.

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Fig. 4.

Double-page du carnet indiquant pour chaque genre le numéro de la boîte de l'herbier (à gauche) ainsi que les pages correspondantes du Conspectus de Nyman (à droite).

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Synthèse

L'herbier des Alpes maritimes de Burnat comprend donc les 29 203 récoltes de Burnat auquel il faut ajouter les nombreux échantillons acquis par échanges, achats ou dons. Si l'on se base sur le nombre de boîtes (379), on peut estimer que cet herbier comprend entre 50 000 et 55 000 échantillons. Il a servi de socle à la Flore des Alpes, ouvrage achevé tardivement par les Matériaux pour la flore des Alpes maritimes (Charpin & Salanon, 1985, 1988).

3. L'herbier Thuret

Histoire de sa constitution

Burnat dans le Manuscrit de l'herbier Burnat (Anon., s.d. : 53–54) relate de la manière suivante comment l'herbier Thuret lui est parvenu :

«M. G. Thuret est mort en mai 1875 […]. M. Ed. Bornet aide et collaborateur de M. Thuret durant nombre d'années a hérité de son ami regretté ses collections et sa bibliothèque. Or depuis 1871 j'étais fort lié avec MM. Thuret et Bornet, je trouvais à chaque visite à Antibes l'accueil le plus obligeant, une source de renseignements et d'instruction inépuisable. Ces Messieurs m'avaient engagé en 1874 à travailler à une nouvelle édition de la flore des Alpes maritimes d'Ardoino (ouvrage pour lequel ils avaient fourni dans le temps la majeure partie des documents nécessaires) ; je recevais à Nant dès 1874 des portions de l'herbier spécial des Alpes maritimes formé à Antibes et que M. Thuret m'envoyait pour étude. M. Bornet ne comptant plus s'occuper de phanérogamie et décidé à aller se fixer à Paris m'annonça en juin 1875 qu'il me faisait don de l'herbier spécial des Alpes maritimes formé à Antibes […]. L'herbier Thuret que j'ai reçu à Vevey peu de temps après est une collection extrêmement précieuse, outre les produits des herborisations de MM. Thuret et Bornet, il renferme les dons des botanistes (Moggridge, Canut, Bourgeau, etc.) cités dans Ardoino […]».

Fig. 5.

Commémoration de la seconde ascension de la cime Burnat en 1905.

[Bibliothèque des Conservatoire et Jardin botaniques de Genève]

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Gustave Adolphe Thuret est né à Paris le 23 mai 1827 et décédé à Nice le 10 mai 1875. Licencié en droit en 1838, il est attaché à l'ambassade de France à Constantinople en 1840–1841 mais abandonne rapidement la carrière diplomatique pour se consacrer à la botanique et plus particulièrement à l'étude des algues. Il réside successivement à Versailles (1846–1852) puis à Cherbourg (1856–1856) avant d'acheter en 1857 plusieurs hectares de terrain au cap d'Antibes et d'y créer un remarquable jardin botanique qui existe toujours actuellement. Ses publications concernent essentiellement les algues et en particulier leur reproduction. Elles lui valent de devenir membre correspondant de l'Académie des sciences de Paris en juin 1857 (Charpin, 2017).

Jean-Baptiste Edouard Bornet est né le 2 septembre 1828 à Guérigny (Nièvre) et décédé le 18 décembre 1891 à Paris. Il fait la connaissance de G. Thuret dont il devient le collaborateur et l'ami. Il travaille avec lui à l'étude de la reproduction des algues, en particulier des Floridées.

Ces deux botanistes ont donc exploré les Alpes maritimes françaises avant Burnat. Les espèces qu'ils avaient notamment récoltées entre 1858 et 1866 ont constitué les éléments principaux de la Flore analytique d'Ardoino, ce qui nous permet de comprendre pourquoi l'herbier Thuret est classé selon cette flore comme nous l'avons mentionné plus haut. Burnat (1905) relève d'ailleurs que presque toutes les plantes vasculaires citées par Ardoino figurent dans l'herbier Thuret. Il n'en manque guère qu'une centaine.

Synthèse

Le nombre d'échantillons de cet herbier reste très incertain. Burnat (1905) indique une présence d'au moins 2 000 espèces tout en relatant, comme mentionné plus haut, que presque toutes les plantes vasculaires décrites par H. Ardoino (2 466 espèces) figurent dans la collection Thuret. Mais cet herbier contient souvent plusieurs récoltes par espèce ce qui nous fait donc largement dépasser les 2 000 exsiccata. Par ailleurs en se basant sur le volume de 24 boîtes, le nombre total d'échantillons peut être estimé entre 3 000 et 3 500.

Conclusion

L'herbier Burnat est le premier herbier clos ayant rejoint la collection des Conservatoire et Jardin botaniques puisqu'il a été acquis en 1920, juste avant celui de l'herbier G-DC (1921) (Bungener, 2015) et bien avant celui de Boissier (G-BOIS, 1944). Il est d'un volume équivalent, si ce n'est un peu plus important (G-DC et G-BOIS sont estimés chacun à 200 000 échantillons). Il n'a toutefois pas l'importance de ces deux derniers herbiers du fait de la dition beaucoup moins large et parce qu'il ne renferme que relativement peu d'échantillons types. Son originalité et son intérêt résident dans ses exsiccata des Alpes maritimes et de la Corse, deux régions aussi bien représentées nulle part ailleurs qu'à Genève. Il est par ailleurs l'essence même de deux ouvrages de grande importance : la Flore des Alpes (Burnat, 1892–1931) et le Prodrome (Briquet, 1910–1913 ; Briquet & Litardière, 1933–1955). Il contient également un nombre important d'échantillons de Suisse, de Péninsule ibérique, d'Allemagne-Autriche, d'Italie et d'autres régions européennes (Fig. 6). Cet herbier est enfin très bien conservé, en excellent état, et représente un patrimoine et un intérêt scientifique de grande valeur.

Fig. 6.

Répartition estimée des principales origines géographiques des échantillons de l'herbier Burnat (les 3 séries confondues).

1. Alpes maritimes ; 2. Péninsule Ibérique ; 3. Suisse ; 4. Allemagne et Autriche ; 5. Italie ; 6. France (hors 1 et 7) ; 7. Corse ; 8. Balkans ; 9. Grèce ; 10. Autres régions.

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Remerciements

Nous remercions chaleureusement David Aeschimann pour les photos d'archive de Burnat, Patricia Riedy pour la photo du Manuscrit de l'herbier Burnat, Laurent Gautier pour celle de l'herbier Burnat et Philippe Clerc pour les informations concernant la partie cryptogamique non comprise actuellement dans l'herbier Burnat, ainsi que pour la transmission des actes des archives municipales de Genève liées à l'herbier Burnat. Nous remercions également l'expertise de Patrick Bungener pour ses remarques constructives.

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© CONSERVATOIRE ET JARDIN BOTANIQUES DE GENÈVE 2017
Daniel Jeanmonod and André Charpin "L'Herbier Burnat (G-BU)," Candollea 72(1), 143-153, (1 June 2017). https://doi.org/10.15553/c2017v721a10
Published: 1 June 2017
KEYWORDS
Burnat's herbarium
Corsica
G-BU
Maritime Alps
Thuret
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