Durant quatre semaines, une enquěte quantitative et qualitative sur la commercialisation de la viande de chasse a été menée sur 21 marchés de Brazzaville. L'objectif de cette étude était de définir le profil du vendeur et d'évaluer les quantités de viande de chasse commercialisées sur les marchés municipaux enquětés. Les résultats obtenus indiquent que les femmes (52%) ont été les plus impliquées dans ce commerce. Le revenu mensuel moyen d'un vendeur au marché a été estimé à 210 428 (420 USD) ± 49 128 (98,256 USD) FCFA. L'âge moyen des vendeurs était de 39 ± 10 ans et 69% d'entre eux avaient pour niveau scolaire les deux degrés de l'enseignement secondaire. Pendant l'étude, 3 711 carcasses de gibiers ont été répertoriées, représentant une biomasse d'environ 35 790 kg. Au total, 35 espèces dont 9 légalement interdites de chasse ont été inventoriées lors des ventes. Les mammifères constituaient 93,8% des animaux chassés avec trois ordres dominants, les artiodactyles (49,2%), les rongeurs (22,6%) et les primates (17,7%). Parmi ces trois ordres, les céphalophes, les potamochères, les athérures et les cercopithèques étaient les plus représentés. Le piégeage, méthode qui entraîne beaucoup de perte d'animaux, représentait le mode de capture le plus important, suivi de la chasse au fusil. Le Chemin de Fer Congo Océan et la Route Nationale n°2 ont été utilisés régulièrement dans le transport de viande de gibiers, à hauteur de 72%. Cette étude suggère une gestion durable des ressources fauniques et une mise en place d'un cadre légal et réglementaire adapté au contexte actuel du commerce de la viande de chasse au Congo-Brazzaville.
Introduction
La viande de chasse représente une source importante de protéines animales dans l'alimentation quotidienne des populations du Bassin du Congo [1]. Sa contribution dans l'économie des ménages est significative [2, 3]. En effet, la viande de chasse joue un rôle socio-économique de plus en plus important dans le secteur informel [4] et la chasse occupe une place appréciable au sein de l'organisation économique et culturelle des peuples forestiers [5].
Depuis quelques années, une mutation profonde dans les pratiques de la chasse traditionnelle est observée au niveau des populations vivant en zone forestière [6]. L'évolution des techniques et la forte demande émanant des centres urbains ont conduit à l'émergence d'une chasse commerciale dont le but est de compenser les besoins exprimés par les marchés urbains [7].
En outre, l'exploitation forestière entraîne l'implantation de véritables cités urbaines en forět qui constituent à leur tour des pôles de consommation supplémentaires comparables à ceux des centres urbains [8]. Les habitants des zones forestières dont la chasse constitue l'une des principales sources de revenus, profitent de l'ouverture de voies de communication opérée par les sociétés forestières pour acheminer leurs produits de chasse des points de récolte vers les grandes agglomérations des pays du Bassin du Congo [9, 10].
A la lumière de ce qui précède, les quantités de viande offertes sur les marchés des villes ne semblent pas diminuer car les zones de chasse s'étendent toujours plus loin, souvent au détriment des aires protégées [11, 12]. Cette situation contribue ainsi à maintenir la consommation de la viande de chasse dans les comportements alimentaires des citadins
A Brazzaville, une étude de Ofouémé-Berton [13] sur l'identification des comportements alimentaires des ménages avait indiqué une structure de dépense où la viande de chasse occupait la troisième place (11%) après la viande de boeuf (45%) et celle du poulet surgelé importé (32%). Malonga [14], dans une autre étude sur la dynamique socio-économique du circuit commercial de viande de chasse au marché Total à Brazzaville, avait estimé que 91,3 tonnes viande de gibiers étaient vendues chaque année dans ce marché et qu'environ 82,9% des acheteurs étaient constitués essentiellement par les ménages.
Ces différents travaux ont ainsi mis en relief la diversité spécifique et les quantités de viande de chasse consommées à Brazzaville. Cependant, le profil socio-économique des acteurs impliqués dans le commerce de la viande de chasse est peu étudié et semble ětre méconnu des organismes en charge de la gestion de la biodiversité. Sachant que les marchés urbains constituent les principaux points de vente de viande de chasse [15], des investigations en ces lieux sont donc essentielles à l'étude du profil du vendeur de la viande de chasse et l'évaluation de la biomasse commercialisée dans les marchés municipaux de Brazzaville. Ces deux derniers points constituent les objectifs de la présente étude.
Méthodes
Zone d'étude
L'étude a été réalisée à Brazzaville (Fig. 1) [16], capitale de la République du Congo, située dans la partie sud ouest du pays. La région abritant Brazzaville est localisée dans la zone humide de l'Afrique Centrale, la pluviométrie annuelle variant entre 1400 – 1600 mm. La ville couvre une superficie d'environ 17600 ha [17]. Elle s'étire en longueur au niveau du Stanley pool, un élargissement du fleuve Congo sur la rive droite, sur plus d'une trentaine de kilomètres. Elle est habitée par une population estimée à 1.029.980 million d'habitants [18] et dont le taux d'accroissement annuel est de 4,8% [19]. Cette population se répartit de manière inégale dans les sept arrondissements : Makélékélé, Bacongo, Poto-poto, Moungali, Ouenzé, Talangaï et Mfilou [18].
Méthodologie de collecte des données
Les données analysées dans ce travail sont issues d'une enquěte réalisée sur 21 marchés à Brazzaville. L'enquěte a été menée pendant la saison des pluies, du 1er au 31 octobre 2008, correspondant exactement à la période d'ouverture officielle de la chasse au Congo.
Les données ont été collectées auprès de 85 vendeurs, à l'aide d'une fiche d'enquěte et complétées par une interview directe [20]. Chaque individu enquěté a reçu un exposé préliminaire sur les objectifs et les résultats attendus de l'étude, tout en sollicitant leur collaboration effective par l'entretien individuel. Ces entretiens se déroulaient sur le lieu de vente; chaque répondant n'était interviewé qu'une fois et toute personne réticente à répondre était systématiquement écartée et les informations récoltées éliminées. Les données disponibles ont été donc obtenues à l'issue des entretiens avec les vendeurs ayant donné leur consentement, conformément à la Déclaration de Helsinki [21].
Les observations étaient faites entre 8 heures et 15 heures. La collecte des données a été réalisée en deux étapes. La première était relative aux données qualitatives ou semi-quantitatives sur les vendeurs et leur marchandise. Le sexe, l'âge, l'état matrimonial et le niveau d'étude, des vendeurs ont été obtenus. Le nom de l'espèce, le nombre d'animaux de chacune des espèces, la méthode de capture, l'état d'achat et l'état de vente (animal vivant ou mort, frais ou fumé, entier ou en morceaux) ont été déterminés sur les carcasses ou dépouilles. Pour l'identification des espèces, les enquěteurs ont eu recours d'une part aux informations des acteurs, et d'autre part aux manuels de référence parmi lesquels le petit guide des mammifères [22] et l'African mammals databank [23]. Au cours de cette étape, une attention particulière a été accordée à l'axe de provenance du gibier, aux sites et aux fréquences d'approvisionnement.
La deuxième étape a consisté à suivre, au coté des vendeurs, la vente de la viande de chasse au détail dans les 21 marchés. A l'aide de deux balances dont un peson de cuisine de 5 ± 0,003 kg et une balance romaine de 100 ± 0,05 kg, les morceaux de viande, les carcasses et les grosses pièces ont été pesés. Enfin, le prix de vente des carcasses et le prix de vente de la viande en tas ont été relevés.
Estimation de la biomasse et analyses statistiques
Afin d'apprécier le niveau de consommation de la viande de chasse, la biomasse a été calculée à 75% du poids de l'animal adulte pour chacune des espèces [24] afin de tenir compte des structures de populations animales.
La biomasse des carcasses de chaque espèce a été calculée en additionnant les poids obtenus lors de leur pesée dans le marché. Le poids moyen de la carcasse de l'espèce a été estimé en divisant la somme du poids obtenu de la pesée de toutes les carcasses du spécimen par le nombre de carcasses recensées pour l'espèce au cours de l'étude. Le pourcentage de contribution de chaque espèce animale à la constitution de la biomasse totale a été obtenu en faisant le rapport centésimal entre la biomasse par espèce et la biomasse totale.
D'une manière générale, pour chaque modalité étudiée, les résultats des ratios indiqués dans les tableaux ont été obtenus par le měme procédé. Le prix moyen du kilogramme de viande par carcasse d'espèce a été obtenu en utilisant la méthode classique du calcul de la moyenne arithmétique de l'ensemble des prix recensés dans les marchés. Le revenu mensuel moyen d'un vendeur installé dans un marché a été estimé en calculant la moyenne mensuelle des revenus de l'ensemble des vendeurs recensés dans les marchés. Ce revenu est calculé sur la base de déclarations des vendeurs de viande de chasse. La valeur du revenu présenté est purgée de toutes les charges possibles.
Le logiciel Epi info version 6.0 a été utilisé pour la saisie et le traitement statistique des données des enquětes quantitatives. Les données collectées ont fait l'objet d'une analyse statistique descriptive. Une analyse de contenu des informations collectées lors des interviews des vendeurs a été faite pour les données des enquětes qualitatives.
Résultats
Profil des vendeurs de viande de chasse
La majorité des vendeurs enquětés était du genre féminin (52%) et l'âge moyen était de 39 ans ± 10 ans (maximum =69 ans et minimum = 20 ans). La majorité des personnes enquětées (61%) était célibataire, les mariées représentant 26%. Les veufs et les divorcés représentaient respectivement 7 et 6 % de l'ensemble de l'échantillon. Le pourcentage de personnes instruites, tous niveaux confondus, était de 92% de la population échantillonnée (Tableau I).
Tableau 1.
Niveau d'instruction des vendeurs de viande de chasse (n = 85) dans 21 marchés de Brazzaville. Le nombre de personnes instruites représentait 92% de la population échantillonnée et la majorité de vendeurs (68%) avait fréquenté les deux degrés de l'enseignement secondaire.
La majorité des vendeurs enquětés (50%) était sans autre emploi, tandis que 46,8% exerçaient un autre type de commerce et 3,2% pratiquaient des activités maraîchères.
Pour 21,6% de vendeurs, le commerce de viande de chasse était une activité complémentaire destinée à améliorer leurs revenus; ils vendaient par ailleurs d'autres produits vivriers. Dix huit pour cent des vendeurs ont révélé que ce commerce était une activité exercée de père en fils et 17,6% ont affirmé qu'il était la conséquence d'une première activité jugée peu rentable, tandis que 25,5% de vendeurs l'exerçaient pour éviter le chômage. Le reste des vendeurs (17,7%) pratiquait ce commerce pour diverses motivations non révélées.
L'expérience de la pratique de la profession de vendeur était de 11 ans ± 7,8 ans (maximum = 30 ans, minimum = 2 semaines).
Axes de ravitaillement en produits de chasse et zones de récolte
Quatre axes principaux ont été utilisés pour assurer le ravitaillement des marchés. Il s'agit du Chemin de Fer Congo Océan (44%), de la Route Nationale n°2 (28%), de la Route Nationale n°1 (20%) et de la voie fluviale (8%).
Suivant l'origine des animaux vendus, sept départements sur douze ravitaillaient régulièrement les marchés de Brazzaville (Fig. 2). Il s'agit par ordre d'importance des départements du Niari (39%), de la Lékoumou (20%), de la Sangha (15%) et du Pool (12%). Les provenances de moindre importance ont été les départements de la Likouala (6%), de la Cuvette ouest (5%) et de la Cuvette (3%).
Sites et fréquences d'approvisionnement
Les marchés enquětés constituaient les principaux endroits où la majorité des vendeurs (42,7%) faisait ses provisions en viande de chasse. La seconde source d'approvisionnement était constituée par les gares routière et ferroviaire (24%), suivie du port fluvial (13,3%) et de l'aéroport (10,7%) et enfin, par le domicile du fournisseur (5,3%) et par l'achat direct auprès du chasseur (2,7%). Toutefois, une frange de vendeurs (1,3%) n'a pas révélé sa source d'approvisionnement. La figure 3 présente les fréquences d'approvisionnement des vendeurs de Brazzaville. (Fig. 3)
Biomasse et inventaire des espèces les plus présentes sur les étals
Un total de 3. 711 carcasses, représentant 35 espèces animales différentes, a été inventorié, équivalant à 35. 790 kg de biomasse commercialisée à Brazzaville. Les mammifères ont été les plus représentés avec 93,8% du nombre total d'animaux, suivis des reptiles (4,3%) et des oiseaux (1,9%), (Annexe I). Trois ordres des mammifères dominaient à savoir les artiodactyles (49,2%), les rongeurs (22,6%) et les primates (17,7%). Les espèces les plus rencontrées sur le marché étaient Cephalophus monticola, Atherurus africanus et Cephalophus dorsalis. Dans une moindre importance, Potamochoerus porcus, Cercopithecus cephus et Cercopithecus nictitans ont été trouvés.
Sur 2. 446 carcasses dont le mode de capture était avéré, le piégeage était le mode de capture prédominant (Tableau II). De fortes variations ont cependant été observées suivant les espèces animales (Fig. 4). Les rongeurs étaient largement capturés par les pièges à pattes, les primates à l'aide du fusil et les artiodactyles par les deux méthodes, avec prédominance du piégeage. Les oiseaux étaient majoritairement abattus au fusil, et la capture manuelle concernait essentiellement les reptiles (tortues et serpents).
Tableau 2.
Fréquence relative du mode de capture des animaux dont les carcasses étaient proposées dans 21 marchés de Brazzaville (n = 3711). Sur 2.446 carcasses d'animaux dont le mode de capture était avéré, le piégeage était prédominant, suivi de la chasse au fusil.
Mode de conditionnement et de conservation des produits de chasse
La majorité des vendeurs (68%) préférait livrer de la viande boucanée et 20% de la viande fraîche. Une faible proportion (12%) vendait simultanément de la viande fraîche et boucanée.
Cette étude a également révélé que 53% de vendeurs utilisait les moyens modernes de conservation tels que les chambres froides et 36% les congélateurs. Dix pour cent des vendeurs par contre utilisait le séchage et le salage. Une minorité (1%) écoulait quotidiennement sans conservation de leur stock.
Clientèle et revenu moyen du commerçant
Les acheteurs de la viande de chasse se répartissaient en quatre groupes distincts (ménages, restaurateurs, vendeurs et autres clients) (Fig. 5). Les ménages représentaient 59% de l'ensemble des acheteurs.
La majorité des vendeurs enquětés (68,7%) a indiqué tirer un plus grand revenu de la vente de la viande de chasse plutôt que celle d'autres produits. Ainsi, le revenu moyen mensuel d'un vendeur installé dans un marché à Brazzaville a été estimé à 210 428 (420 USD) ± 49 128 (98,256 USD) FCFA.
Discussion
Limite des méthodes utilisées
La méfiance des vendeurs sur les marchés fut l'une des principales difficultés rencontrées par les enquěteurs. En effet, le commerce de la viande de chasse étant une activité informelle et non réglementée, la plupart des vendeurs craignaient les enquěteurs. Dans ces conditions, une partie des données sur leurs activités n'a pas pu ětre collectée, ce qui est une source de biais. En outre, la commercialisation a été étudiée de façon ponctuelle. Comme le souligne Chardonnet [25], les enquětes ponctuelles sont généralement de courte durée et non répétitives. Elles ne font pas l'objet d'un suivi régulier des activités dans le temps et ne permettent pas d'appréhender de manière optimale les stratégies des acteurs de la filière de commercialisation de viande de chasse.
Par ailleurs, certaines transactions de vente, trop rapides, ne permettaient pas de faire l'inventaire et d'identifier la provenance de tous les animaux; certaines données ont donc échappé aux enquěteurs. De měme, une grande proportion de carcasses de gibiers présentes sur les étals était constituée par de la viande boucanée. Cet état a parfois compliqué la tâche des enquěteurs dans l'identification du mode de capture. Enfin, la sincérité des vendeurs quant au prix d'achat réel des animaux peut-ětre parfois mise en doute, les informations étant échangées sur le marché en présence de clients potentiels.
Genre et âge des vendeurs
Une faible majorité des vendeurs de viande de chasse enquětés dans les marchés de Brazzaville était composée de femmes (52%). Nganga [26], avait déjà souligné un réel intérět des femmes (55,7%) pour cette activité lors de ses travaux sur les voies d'accès et la qualité hygiénique de la viande de brousse consommée à Brazzaville. Une enquěte analogue menée par Edderai et Dame [15] à Yaoundé au Cameroun avait měme révélé que le métier de vendeur de viande de chasse était quasi exclusivement féminin (84,3%).
La moyenne d'âge des vendeurs était de 39 ans. Cette valeur est légèrement inférieure à celle obtenue à Kinshasa par Meridjen [27] où elle était de 43 ans. Ces résultats confirment que les acteurs concernés par le circuit de commercialisation des produits de chasse ont une certaine maturité. Les jeunes de moins de trente ans ont été davantage impliqués dans la chaîne de commercialisation. Cette conclusion des travaux corrobore celle de Nganga [26] pour ce qui est de la classe d'âge la plus active dans la commercialisation de la viande de chasse.
Quantité et moyen de transport de gibier
D'un point de vue quantitatif, une extrapolation sur une année des 3. 711 carcasses inventoriées en 4 semaines d'enquětes équivaut à 429. 470 kg de biomasse commercialisée dans les marchés de Brazzaville, soit, en considérant l'absence d'exportations, une consommation moyenne de 0,42 kg/personne/an. Cette quantité ne constitue bien sûr qu'une partie du flux de viande entrant dans la ville. Elle reste toutefois plus importante que les 91. 300 kg de viande de chasse vendue au marché “Total” de Brazzaville en une année d'enquěte réalisée par Malonga [14]; selon cette étude, cette source d'approvisionnement est importante car la majorité de ménages (82,9%) la fréquente régulièrement pour leurs provisions en viande de chasse. Ces résultats suggèrent que la consommation de viande de chasse à Brazzaville est élevée et qu'il existe donc une certaine pression sur la ressource faunique. Cette situation est retrouvée également dans les autres villes d'Afrique centrale, soit 1,11 kg/personne/an pour Libreville au Gabon, et 0,84 kg/personne/an à Yaoundé au Cameroun [28].
La dynamique d'approvisionnement des marchés de Brazzaville en viande de chasse indique que de nombreux sites forestiers participent au ravitaillement de Brazzaville. Ils incluent les aires protégées telles que les réserves de faune du mont Mfouari, de la Tsoulou et de la Nyanga sud dans le département du Niari, le Parc National d'Odzala-Kokoua à cheval sur les départements de la Cuvette ouest et de la Sangha, la réserve de faune de la Léfini située entre les départements du Pool et des plateaux et la réserve de faune de Lésio-Louna dans le Pool. Dans ce processus de collecte, les aires protégées semblent jouer un rôle de réservoir aux zones de chasse environnantes et cela měme sur un rayon de 20 à plus de 50 km [29, 30]. La proximité des réserves de faune de la Léfini et de Lésio-Louna de la ville de Brazzaville en est une illustration. Dans cette optique, la concentration des habitants dans les aires d'exploitation villageoise crée une pression accrue sur la faune du sanctuaire de gorilles de Lossi, du Parc National de Nouabalé-Ndoki et autour du futur Parc National de l'Ogooué-Lékéti [2930–31]. Une telle situation est préoccupante surtout si l'on sait que la majorité de ces gibiers est prélevée dans et/ou autour des aires protégées par les populations rurales généralement pauvres et qui utilisent des moyens de chasse à la fois traditionnels et modernes [32]. Ce constat sur la proximité des zones de chasse des limites des aires protégées suggère que ces zones considérées s'étendent toujours plus loin, souvent au détriment des aires protégées [11, 12, 33].
La ville de Brazzaville bénéficie de beaucoup d'opportunités pour son ravitaillement et cela grâce aux principales voies d'accès qui débouchent toutes sur elle. Pourtant, de toutes ces voies, le train est le principal moyen de transport utilisé régulièrement par les acteurs de la filière viande de chasse [34]. Ces résultats pourraient s'expliquer notamment par la fréquence régulière du trafic sur le Chemin de Fer Congo Océan et probablement, par l'inefficacité des contrôles forestiers. A titre indicatif, la contribution du chemin de fer dans le ravitaillement des centres urbains d'Afrique Centrale est souvent remarquable [15].
Espèces et préférences des consommateurs
Les inventaires des animaux vendus sur les marchés de Brazzaville ont permis d'identifier 35 espèces animales appartenant en grande majorité (93,8%) à la classe des mammifères. Ces tendances sont généralement en accord avec celles observées par Poulsen et al. [1] dans leurs travaux sur la consommation de la viande de brousse dans une concession forestière tropicale, au nord du Congo. Dans notre étude, la fréquence de captures des espèces est déterminée par plusieurs facteurs. Parmi ceux-ci, il convient d'abord de citer l'intensité de la chasse et l'abondance des effectifs de l'espèce dans une zone moins perturbée par les actions anthropiques. C'est le cas de certains artiodactyles tels que les céphalophes bleu (Cephalophus monticola) et bai (Cephalophus dorsalis) qui sont très appréciés des consommateurs brazzavillois et se retrouvent ainsi parmi les espèces animales les plus vendues [2]. Měme les céphalophes, relativement résistants à la pression cynégétique, subissent une exploitation de leurs populations qui risquerait, à termes, d'ětre non durable [35]. Il en est de měme pour l'athérure africain (Atherurus africanus) lors de l'installation des pièges dans une telle zone [11].
D'autre part, la méthode de chasse influence le type et le nombre d'animaux capturés. L'inventaire réalisé dans les marchés indique que le piège et le fusil sont les deux méthodes de capture les plus utilisées. Le fusil est utilisé principalement pour abattre les primates et les grands mammifères. La préférence entre les deux techniques est portée sur le piégeage à cause du coût relativement moins élevé des moyens nécessaires à son installation (câbles de bicyclettes), comparé à l'acquisition d'une arme de chasse et de munitions [36, 37]. Le piège à collet est une technique peu coûteuse, facile à utiliser mais sélective par rapport au fusil car elle permet de capturer sans distinction toutes les espèces animales de taille moyenne, qu'il s'agisse d'individus mâtures ou juvéniles [35]. Le revers à cette technique est le gaspillage induit qui est très important car, du fait de l'irrégularité des visites des pièges, beaucoup d'animaux capturés sont abandonnés [28]. C'est la raison essentielle qui explique les efforts fournis pour interdire ce type de moyen de chasse dans certains pays [11]. Au Congo en effet, les agents assimilés des eaux et forěts procèdent systématiquement à la confiscation des pièges à collet métallique une fois qu'ils sont repérés car leur usage est strictement prohibé.
Implications pour la conservation
L'augmentation des captures au fusil ou au piège à patte, techniques tournées vers les espèces plus petites, illustre sans doute une diminution progressive de la ressource. Par ordre d'importance, dans notre étude, les artiodactyles viennent en těte des animaux commercialisés, puis les rongeurs, suivis des primates (Fig. 6) [383940–41]. East et al. [9] à Malabo ont obtenu une prépondérance de primates par rapport aux rongeurs. La différence dans ces observations suggère que, dans notre cas, il y aurait une intense utilisation du piégeage depuis quelques années au Congo Brazzaville, certainement en raison du faible investissement qu'il nécessite [35]. Ces résultats peuvent aussi s'expliquer par le fait que depuis plus d'une décennie, les équipes de conservation focalisent leurs actions sur la lutte anti braconnage en recherchant systématiquement la présence de fusils. L'analyse des produits provenant des différentes zones d'approvisionnement des marchés montre qu'il y avait trois fois plus de prélèvements par piégeage dans le département du Niari (71,3%). La structure de la pression se traduit donc par le fait que dans ce département, les rongeurs constituent désormais les principales cibles. Pour le département de la Sangha où la pression de chasse est relativement moins forte, Poulsen et al. [1] ont mis en évidence des prélèvements trop importants pour les populations de Cephalophus callipygus, Cephalophus dorsalis, Cephalophus monticola, Cercopithecus nictitans, Atherurus africanus et Potamochoerus porcus.
Les méthodes de chasse non sélectives qui sont en usage dans le pays ont pour effet qu'on retrouve sur le marché près d'une dizaine d'animaux interdits de chasse par la loi 37–2008 du 28 novembre 2008 sur la faune et les aires protégées. Certaines espèces comme l'éléphant de forět, le crocodile nain, divers petits primates du genre Cercopithecus, le gorille des plaines de l'ouest et le chimpanzé commun figurent sur la liste rouge de l'UICN des espèces en danger de disparition [42434445–46].
L'implantation d'élevages périurbains d'espèces très consommées comme le céphalophe bleu et l'athérure africain pourrait constituer une ébauche de solution en motivant, par des appuis financiers et techniques, une population juvénile en quěte de revenus. La promotion de l'élevage des espèces gibiers permettrait de créer des emplois pour les jeunes désoeuvrés, et d'apporter une diversité de sources de viandes pour les consommateurs de toutes origines et toutes catégories socioprofessionnelles confondues. Le frein culturel lié à l'élevage dans ces régions pourrait cependant ětre important.
Pour valoriser les ressources fauniques au plan national, il est aussi souhaitable de développer et de promouvoir le tourisme cynégétique et l'écotourisme qui sont des activités potentiellement très lucratives et donc susceptibles de générer des revenus substantiels pour l'économie nationale.
Des mesures pour combler la demande croissante en protéines animales devront ětre prises, notamment la promotion d'élevages d'espèces à cycle court (aviculture, pisciculture) et cela, à l'issue d'études socio-économiques participatives sur le sujet.
Au-delà de ces actions techniques, un travail de sensibilisation des populations et des différents acteurs à la gestion durable des ressources naturelles est également nécessaire. En particulier, les jeunes générations devraient ětre ciblées par de l'éducation environnementale intégrée dans le cycle scolaire.
Le commerce de la viande de chasse joue un rôle important dans l'économie informelle du pays au regard du nombre d'acteurs impliqués dans la filière, tels que les chasseurs/piégeurs et les vendeurs, et de l'importance des revenus qu'il engendre. Cette étude montre que le vendeur type de viande de chasse est une personne adulte, instruite et en majorité célibataire. Dans cette population, la proportion de jeunes de moins de trente ans, en majorité de sexe féminin, a été la plus impliquée dans le circuit de commercialisation de la viande de chasse.
Au regard de ce qui précède, le commerce de la viande de chasse à Brazzaville a donc besoin d'ětre organisé pour lui permettre de jouer pleinement son rôle de fournisseur traditionnel de protéines animales. Une telle politique permettra, d'une part, à une portion non négligeable de jeunes vendeurs n'ayant que ce commerce comme unique activité génératrice de revenus, d'exercer légalement un emploi rémunérateur et, d'autre part, à l'Etat congolais d'adopter une stratégie durable, valorisant par le tourisme cynégétique et l'écotourisme, toutes les richesses naturelles des aires protégées du pays. Ce type de commercialisation n'est envisageable que sur base d'une liste très restrictive d'espèces autorisées à la chasse, et sur base de quotas très stricts de ventes par personne et par jour.
La loi congolaise en matière de gestion de la faune et de la chasse ne donne aucune indication précise sur le commerce de viande de chasse. Il apparait ainsi un vide juridique dans la législation de la faune sauvage, particulièrement sur le plan de sa commercialisation. L'Etat congolais doit donc s'atteler à la mise en place d'un cadre légal et réglementaire approprié devant permettre une gestion durable des ressources fauniques du pays.
Remerciements
Cette étude a reçu le financement de la Direction des Bourses et des Œuvres Universitaires et celui du Centre de Recherches Vétérinaires et Zootechniques du Congo-Brazzaville. Nous nous inclinons très respectueusement devant la mémoire du défunt frère Bonaventure Dihoulou, spécialiste de l'analyse statistique. Son apport technique multiforme a été très utile pour accomplir ce travail de recherche selon les règles de l'art. Les auteurs remercient Monsieur Bernard Lelou, Assistant à l'Institut de Développement Rural et le Professeur Joseph Vouidibio de la Faculté des Sciences de l'Université Marien Ngouabi de Brazzaville, pour leurs précieuses contributions. Les auteurs remercient également tous les lecteurs anonymes pour la pertinence de leurs critiques et suggestions.