Des prospections actives et ciblées ont été menées entre 2014 et 2016 dans l'espoir de trouver d'éventuelles populations résiduelles de Rats des moissons (Micromys minutus) dans le bassin genevois. Après avoir repéré une soixantaine de sites favorables à l'espèce, des recherches de nids ont été effectuées ainsi que des piégeages. Ces recherches ont permis de trouver 12 nouvelles stations, toutes situées dans le Pays de Gex (France, Ain), et de présumer que l'espèce est aujourd'hui absente du canton de Genève et peut-être aussi de la partie haut-savoyarde du Bas-Chablais située dans la zone prospectée. Ces découvertes révèlent le niveau de menace important qui pèse sur presque toutes les populations de Rats des moissons du bassin genevois.
INTRODUCTION
Le Rat des moissons Micromys minutus (Pallas, 1771) possède une aire de distribution très large, qui s’étend du nord de l'Espagne jusqu’au Japon, et, à l'exception du Vietnam (Abramov et al., 2009), ne révèle à ce jour que très peu de divergences génétiques au sein de ses diverses populations (Yasuda et al., 2005). De fait, il n’est pas considéré comme une espèce menacée au niveau mondial. En revanche, plusieurs études ont clairement mis en évidence son déclin au cours des quatre dernières décennies dans plusieurs régions d'Europe, notamment en Angleterre, en Suisse et dans certaines régions de France (Meek, 2011 ; Blant et al., 2012 ; Lardelli, 1981 ; Butet & Paillat, 1998 ; Mitchell-Jones et al., 1999). En Suisse, sa présence est aujourd'hui confinée sur la rive sud du lac de Neuchâtel, aux marais de la Versoix (canton de Vaud), à quelques zones marécageuses du canton du Jura, ainsi que dans les environs de Bâle et de Schaffhouse ; présent autrefois non loin du lac de Constance et dans le canton du Tessin, il n’y a plus été retrouvé depuis (Maddalena & Zanini, 2008). Aujourd'hui, seules les populations des marais de la Versoix et du lac de Neuchâtel paraissent viables sur le long terme (Vogel & Gander, 2014).
En ce qui concerne son statut dans le bassin genevois au cours de ces deux derniers siècles, les rares informations disponibles ne permettent pas d'affirmer si l'espèce était fréquente à un moment ou à un autre de cette période. En effet, les seules données certaines et antérieures à 2000 se rapportent à trois nids trouvés par Aellen et Strinati en 1966 dans la région de Bogis-Bossey (canton de Vaud) et conservés au Muséum de Genève, à une mâchoire trouvée dans une pelote de réjection en provenance de l'Etournel, dans le département de l'Ain (Bordon, comm. pers.), à une observation visuelle faite au marais du Grand Bataillard (Blant et al., 2012), ainsi qu’à des restes osseux trouvés entre 1966 et 1968 dans des pelotes de réjection d'Effraie des clochers (Tyto alba) en provenance de Bogis-Bossey et de Founex, dans le canton de Vaud (données du Centre suisse de cartographie de la faune, Neuchâtel). A ces données, vient encore s’ajouter une observation de nid faite au Moulin-de-Vert (canton de Genève) par un garde de l'environnement il y a un peu moins d'une vingtaine d'années, observation qui n’a pas pu être confirmée (Blant et al., 2012) et qui pourrait se rapporter à un nid de Muscardin (Muscardinus avellanarius). Par ailleurs, d'autres données issues de restes osseux trouvés dans des pelotes de réjection font état de la présence de l'espèce en 1982 à la Gara, près de Jussy, et en 1991, à Meyrin (canton de Genève), ainsi qu’au Mont de Sion en 1969 (Haute-Savoie). Toutefois, le matériel ayant servi aux identifications n’ayant pas été retrouvé pour confirmation, ces dernières données doivent être prises avec une certaine réserve (Morel, comm. pers.). Il en va de même avec trois nids des collections du Muséum de Genève collectés par Schauenberg à l'avenue d'Aïre (canton de Genève) en 1945, dont l'état de conservation ne permet pas de confirmer s’ils sont les œuvres de Rats des moissons ou de Muscardins. Enfin, signalons que Hainard affirmait que l'espèce manquait « à notre région » et que Fatio, dans son ouvrage sur les mammifères de la Suisse, n’a pas rapporté la présence de l'espèce dans le canton de Genève, ni même dans le bassin genevois, en ajoutant néanmoins avoir « trouvé le Rat nain sur le territoire français, non loin de nous, mais au delà du Fort de l'Ecluse et par conséquent en dehors de nos limites naturelles » (Hainard, 1949 ; Fatio, 1869). Concernant la période postérieure à 2000, aucune donnée suffisamment documentée ne permettait avant ces présentes recherches de mettre en évidence l'existence certaine du Rat des moissons dans le bassin genevois, hormis dans le complexe franco-suisse des marais de la haute Versoix (Marchesi & Descombes, 2008). Toutefois, selon Faugier et Bulliffon (2015), qui ne mentionnent aucune source et aucune localité, l'espèce serait présente à l'est et à l'extrême nord du département de la Haute-Savoie près du lac Léman.
Devant ce déficit d'informations et la confirmation récente de la présence d'une importante population de Rats des moissons au marais du Grand Bataillard, situé au bord de la Versoix dans le canton de Vaud (Marchesi & Descombes, 2008), il a été décidé de rechercher activement l'espèce dans tout le bassin genevois afin de retrouver d'éventuelles populations résiduelles, sachant que jusque vers le début du XXe siècle de très grandes zones marécageuses ou prairiales subsistaient encore en maints endroits de la zone étudiée.
ZONE D'ÉTUDE
La zone d'étude constitue une entité territoriale franco-suisse relativement cohérente d'un point de vue biogéographique. Elle regroupe la totalité du canton de Genève, l'extrême sud-ouest du canton de Vaud, le Pays de Gex (Ain) et une partie de l'extrémité occidentale du Bas-Chablais haut-savoyard. Les limites de cet espace géographique sont délimitées au nord par une ligne partant de Saint-Cergue (Vaud) et suivant plus au sud-est la Promenthouse, au nord-ouest par la ligne de crête de la chaîne du Jura, au sud par celle du Vuache et du pli du Mont-de-Sion, puis à l'est par celle des Voirons et enfin par le Redon, rivière se jetant dans le Léman à la hauteur de Séchex (Fig. 1). La superficie du bassin genevois ainsi circonscrite est de 1032 km2, les deux tiers environ se trouvant sur France (642 km2), un peu moins d'un quart sur le canton de Genève (282 km2) et le reste sur le canton de Vaud (108 km2).
MATÉRIEL ET MÉTHODES
A l'instar de la plupart des petits rongeurs, le Rat des moissons n’est pas une espèce facile à observer visuellement, même si ses activités sont en partie diurnes (Rahm, 1995 ; Cross, 1970). En France, sa distribution géographique est d'ailleurs essentiellement connue par l'analyse des pelotes de réjection de rapaces, surtout celles de l'Effraie des clochers (Quéré & Le Louarn, 2011), ce qui ne permet pas, il va sans dire, une localisation exacte des populations. En outre, il s’est avéré que les critères d'identification des crânes posent parfois des problèmes aux naturalistes inexpérimentés et qu’il existe de ce fait, selon Blant et al. (2012), des risques de confusion avec la Souris domestique (Mus domesticus). Par conséquent, il est nécessaire d'entreprendre des recherches avec d'autres méthodes indirectes. Aussi, sachant que dans nos régions l'espèce est essentiellement inféodée à des milieux humides présentant une végétation dense de hautes plantes herbacées (Darinot & Favier, 2014 ; Blant et al., 2012), généralement des magnocariçaies, mais également des phalaridaies et des prairies hygrophiles ou mésohygrophiles, des premières recherches ont été effectuées dans plusieurs zones du bassin genevois déjà connues pour abriter des formations végétales susceptibles de convenir au Rat des moissons. Des prospections ont alors été entreprises en 2014 et 2015 dans une quinzaine de sites, ce qui a permis de détecter la présence de l'espèce dans deux stations du Pays de Gex (marais de l'Etournel et de Prodon). Fort de ce résultat, des recherches à partir de cartes topographiques et de photographies aériennes antérieures à 1960 ont été ensuite réalisées en 2016 afin de localiser les emplacements d'anciennes zones marécageuses ou prairiales situées en dessous de 700 m d'altitude, ceci en raison des préférences de l'espèce, du moins dans nos régions, pour des stations situées essentiellement à l'étage collinéen (Rahm, 1995 ; Butet & Paillat, 1998 ; Quéré & Le Louarn, 2011). Puis, chaque secteur a été visité dans l'espoir de trouver des milieux favorables à l'espèce, comme des cariçaies, des prairies sur sol hydromorphe, des friches humides, voire des canaux de drainage bordés de végétation herbacée suffisamment haute pour abriter une population résiduelle de Rats des moissons. Enfin, des recherches plus approfondies ont été entreprises sur une bonne soixantaine de sites du bassin genevois, parmi lesquels une petite friche à Molinie (Molinia arundinacea) située à Greny sur la commune de Péron (Ain), site où la découverte fortuite en septembre 2016 d'un nid présumé de Rat des moissons par une botaniste a permis de localiser une petite population (Fig. 2).
Les preuves de présence de Rats des moissons dans les sites retenus ont été essentiellement obtenues par la recherche de ses petits nids sphériques suspendus invariablement dans la haute végétation herbacée et très souvent dans des formations de grandes laîches (Magnocaricion), comme Carex acutiformis. Soulignons ici que ces nids peuvent être parfois confondus avec ceux du Muscardin qui fréquente volontiers les phragmitaies et certaines zones marécageuses envahies par une végétation ligneuse pionnière. Il est pour cela nécessaire de vérifier si les nids sont uniquement tressés avec les végétaux qui les soutiennent et non constitués de matériaux rapportés, par exemple en les soulevant délicatement pour trouver des feuilles encore vivantes rattachées à la plante support et dont l'extrémité effilochée est directement reliée à la construction.
Parallèlement aux recherches de nids, six localités ont été échantillonnées par piégeage non vulnérant, soit parce qu’elles présentaient un milieu optimum pour le Rat de moissons, mais sans présence de nid, soit parce qu’il s’avérait intéressant de se faire une idée de la taille d'une population. Aussi, comme ce petit rongeur évolue principalement à bonne hauteur dans les hautes herbes et qu’en conséquence le piégeage classique au sol n’est pas efficace (Vogel & Gander, 2015), il a fallu disposer des pièges sur des piquets à environ 60 cm du sol (Fig. 3). En outre, trois à quatre semaines de pré-nourrissage à l'aide de graines de tournesol décortiquées ont été nécessaires avant d'effectuer les premières sessions de capture. Les piégeages ont été réalisés avec des pièges en bois de facture artisanale (Fig. 3) offrant une bonne protection thermique et conçus pour capturer des animaux de moins de 8 g. Disposés en ligne à trois ou quatre mètres l'un de l'autre dans les secteurs les plus favorables, ils permettent ainsi d'atteindre en automne, lors du pic démographique des micromammifères, un taux de réussite sur 12 heures souvent supérieur à 50% (toutes espèces confondues), pour autant qu’il y ait eu un pré-nourrissage.
RÉSULTATS
Résultats globaux
Contre toute attente, pas moins de 141 nouvelles données ont été récoltées attestant l'existence de Rats des moissons dans 12 nouveaux sites du bassin genevois (Fig. 1). Toutefois, aucune preuve de présence n’a été détectée ailleurs que dans le Pays de Gex (Ain) et le marais du Grand Bataillard (Vaud), ce dernier déjà connu depuis 1966 pour abriter l'espèce. Néanmoins, des recherches de nids effectuées en 2015 dans ce site protégé ont permis la découverte de nouveaux secteurs de présence de l'espèce, notamment au sud du Grand Bataillard, sur la commune de Commugny, dans de petites magnocariçaies relativement isolées au bord de la Versoix (Gilliéron, 2015). En ce qui concerne la partie vaudoise du bassin genevois, notons que des prospections effectuées en 2016 au marais des Bœufs, le long de l'Asse et sur les marais de la Topaz (commune de Chéserex) se sont révélées négatives malgré la présence de quelques milieux relativement propices au Rat des moissons.
Pour ce qui est du canton de Genève, tout porte à croire que l'espèce n’y est pas ou plus présente. En effet, entre 2014 et 2016 une quinzaine de sites présentant des formations végétales relativement favorables au Rat des moissons ont été prospectés, mais sans succès. D'autre part, suite à la découverte en novembre 2016 de deux nids situés sur France à trois mètres environ de la frontière suisse et non loin du Mandement (donnée GPS confirmée par une borne), sur la commune de Thoiry (station 8 ; Fig. 4), toute la région frontalière proche située entre Malval et Bourdigny-Dessus a été méticuleusement prospectée durant deux jours, mais sans résultat et sans découverte de milieux favorables à l'espèce, sauf vers Moulin Fabry où subsiste une petite zone humide colonisée essentiellement par des roseaux. Notons, par ailleurs, qu’en octobre 2007, six sites censés favorables à l'espèce avaient déjà été prospectés dans le canton de Genève et qu’aucun indice de présence n’y avait été découvert (Blant et al., 2012).
En ce qui concerne la partie du bassin genevois située en Haute-Savoie, malgré de fortes présomptions de présence de l'espèce dans divers sites, aucun indice n’a été trouvé (Fig. 1). Parmi ces sites, les marais de Chilly et ceux de Marival, tous deux situés sur la commune de Loisin, ont fait l'objet en 2015 et 2016 de recherches systématiques de nids et de campagnes de piégeage sur plusieurs jours.
Résultats pour le Pays de Gex
Les nouvelles stations de présence de Rat des moissons du bassin genevois ont toutes été trouvées dans le Pays de Gex, entre les marais de l'Etournel (commune de Collonges) et le marais de Prodon (Fig. 5) situé au bord de la Versoix (communes de Grilly et Divonne-les-Bains), à des altitudes s’échelonnant de 328 à 520 m (Fig. 1 ; Tab. 1). Les indices d'occupation ont été obtenus grâce à la découverte de 80 nids dans l'ensemble des sites (Tab. 2) et la capture de 61 individus dans trois stations.
DISCUSSION
Dans le bassin genevois, il ressort que le Rat des moissons est à ce jour absent du canton de Genève et de la Haute-Savoie. Toutefois, cette constatation ne permet pas d'affirmer que l'espèce n’y fut pas présente autrefois, notamment dans les anciens marais de la Seymaz (Choulex et Meinier, canton de Genève) et dans plusieurs sites du Bas-Chablais haut-savoyard où de très nombreux marais existaient encore jusque vers le milieu du XXe siècle. D'autre part, il n’est pas impossible qu’une petite population résiduelle ait encore subsisté jusque vers le début des années soixante dans l'anse du Rhône située sous le Lignon (Vernier, canton de Genève), à l'emplacement de l'actuelle station d'épuration d'Aïre, là même où Schauenberg aurait trouvé en 1945 des nids et où se trouvait une zone marécageuse d'environ 3 ha (cf. introduction).
Contrairement au Grand Bataillard, relativement épargné, tous les sites découverts se situent à l'emplacement d'anciens marais ou de zones prairiales qui jusque vers la fin du XIXe siècle couvraient d'importantes surfaces, à l'exemple du complexe des anciens marais d'Arbère, de Prodon et de Divonne, dont la surface vers 1950 était encore proche de 200 ha. Aussi paraît-il vraisemblable que la plupart des stations découvertes constituent des zones de repli, sans véritable connexion apparente entre elles et où les populations résiduelles de Rats des moissons trouvent néanmoins des milieux de substitution sub-optimum, souvent fortement dégradés et menacés à très court terme par l'aménagement du territoire, l'urbanisation, l'agriculture intensive, le réseau routier ou par l'envahissement des néophytes. C’est notamment le cas d'une petite population située sur la commune de Saint-Jean-de-Gonville et à quelques encablures de la frontière suisse. A cet endroit, les Rats des moissons ne survivent en effet que grâce à la présence de bandes herbacés situées le long de la semi-autoroute qui relie Collonges à Saint-Genis-Pouilly et de fossés de drainage en plein champs colonisés par des Roseaux (Phragmites australis) et des Solidages (Solidago canadensis), ainsi que par quelques laîches (Carex sp.) et quelques Faux roseaux (Phalaris arundinacea). A noter enfin qu’aucun indice de présence de Rat des moissons n’a été détecté au marais de Brou de même qu’au marais des Bidonnes (commune de Divonne-les-Bains), malgré la présence de quelques zones favorables, notamment d'une très belle magnocariçaie d'un demi hectare située au nord-est des étangs de Crassy.
L'absence actuelle d'une population de Rats des moissons dans la région du Mandement limitrophe avec le Pays de Gex (rive droite du canton de Genève) pourrait être liée à l'inexistence historique d'anciens bas-marais ou de sols pouvant favoriser la formation d'une haute végétation herbacée hygrophile propice à la présence de l'espèce. D'autre part, cette région présente de nombreux secteurs où les grands vignobles et les zones forestières interdisent toute progression d'une population française vers d'éventuels milieux favorables, notamment dans certaines zones de l'Allondon. Comme l'ont déjà fait remarquer certains auteurs, la connectivité des habitats est en effet un facteur important pour nombre de micromammifères et sans doute encore plus pour le Rat des moissons qui ne peut se passer de haute végétation herbacée, du moins durant les trois quart de l'année (Darinot & Favier, 2014 ; Blant et al., 2012 ; Wijnhoven et al., 2006). Dans le Pays de Gex, le maintien de certaines populations ne dépend d'ailleurs que de la présence de corridors végétalisés, comme des canaux de drainage en plein champs, des ourlets en lisière humide (Fig. 4), des bandes herbeuses sur sol hygromorphe et même de certains tronçons de voie ferrée à l'abandon, qui sont autant de milieux, certes précaires, mais qui n’existent pas dans le Mandement genevois tout proche. Notons, par ailleurs, que les nids découverts dans le bassin genevois étaient pour l'essentiel construits dans des formations plus ou moins pures de grandes laîches, généralement Carex acutiformis, ce qui explique en partie l'intérêt du Rat des moissons pour les magnocariçaies qui constituent son habitat optimum (Tab. 2). Cet intérêt de l'espèce pour ce type de milieu a d'ailleurs très bien été démontré en 2015 lors d'une campagne de recensement de nids dans le marais du Grand Bataillard où 80% d'entre eux se trouvaient dans des groupements à Carex acutiformis, avec ou sans présence de Phalaris arundinacea (Blant, 2015). En ce qui concerne le Bas-Chablais haut-savoyard, l'absence du Rat des moissons, du moins présumée, est en revanche plus difficile à expliquer. Les anciennes cartes topographiques datant du milieu du XXe siècle montrent en effet qu’il existait de nombreux bas-marais susceptibles d'abriter des populations plus ou moins importantes. D'ailleurs, certaines de ces zones humides subsistent encore, bien que fortement envahies par des ligneux et des néophytes, et présentent ici et là des milieux apparemment tout aussi favorables au Rat des moissons que ceux découverts dans le Pays de Gex. Tous ces bas-marais ont bien entendu été prospectés dans le cadre de cette étude, mais sans résultat. Comme il l'a été dit, les marais de Chilly et ceux de Marival (commune de Loisin) ont en outre fait l'objet de campagnes de captures précédées de quatre semaines de pré-nourrissage. Il en va de même pour les marais de Machilly et de Bons-en-Chablais (marais de la Dame et marais de Fully) qui également n’ont donné aucun résultat. Pour ce qui est des marais de Marival, qui présentent d'importantes prairies humides et sans doute les plus belles magnocariçaies du Bas-Chablais, son isolement dans un cadre forestier pourrait être la cause de l'absence d'une population résiduelle de Rats des Moissons. Cependant, l'absence d'indices de présence dans la partie haut-savoyarde du bassin genevois ne signifie pas pour autant qu’il n’y existe pas ou plus de populations de Rats des moissons. Plusieurs sites de moindre importance, en effet, mériteraient d'être prospectés, car, tel qu’on a pu le constater dans le Pays de Gex mais aussi dans d'autres régions d'Europe comme en Carinthie (Komposch, 2002), ce rongeur peut passer totalement inaperçu durant des décennies si des recherches ciblées ne sont pas entreprises. Il n’est donc pas interdit de penser qu’il existe peut-être dans le Bas-Chablais haut-savoyard des populations survivantes retranchées dans des milieux secondaires.
Table 1.
Localisation géographique des stations de présence de Rat des moissons nouvellement découvertes dans le bassin genevois et types d'indices de présence par date. Les numéros de station (gauche) correspondent à ceux géoréférencés à la figure 1.
CONCLUSION
Malgré la découverte de douze nouvelles petites populations de Rats des moissons dans le bassin genevois, alors que jusqu’en 2014 on ne connaissait qu’un seul site de présence confirmé, rien ne permet d'avancer que l'espèce n’est pas menacée à l'échelle de cette région. En effet, aucun des sites occupés par ce petit rongeur ne bénéfice d'une quelconque protection, à l'exception des marais de Fénière et de l'Etournel, dotés d'un arrêté de biotope, et de celui du Grand Bataillard, qui constitue une réserve de faune répertoriée dans la liste suisse des bas-marais d'importance nationale et qui dispose à ce titre d'une maîtrise foncière de conservation adaptée à la sauvegarde de l'espèce. D'autre part, il est important de souligner que presque toutes les populations du Pays de Gex constituent de petits isolats menacés à court ou moyen terme de disparition si des mesures de protection ne sont pas engagées rapidement. Pour n’occuper parfois qu’un ou deux hectares de milieu favorable, certaines populations sont à ce point si petites qu’on peut être même étonné qu’elles puissent encore de nos jours survivre dans un environnement de plus en plus soumis à l'urbanisation et aux pratiques agricoles intensives. Les premières évaluations de menace (cf. Fig. 1) mériteraient cependant d'être affinées afin de déterminer les mesures de protection à prendre pour les rendre viables sur le long terme. Bien entendu, de telles mesures dépendent des choix politiques sur l'aménagement territorial et de la valeur patrimoniale qui est attribuée localement à la biodiversité. Enfin, soulignons que le Rat des moissons ne bénéficie en France d'aucune protection légale, alors qu’en Suisse l'espèce est non seulement protégée, mais aussi inscrite comme « espèce menacée » (catégorie 3) dans la Liste rouge de l'Office fédéral de l'environnement et du paysage (Duelli, 1994).
Table 2.
Nids de Rat des moissons trouvés dans le Pays de Gex classés par station et par catégorie de végétaux principaux qui ont servi à leur confection. La colonne de gauche renvoie aux numéros de stations figurant sur la Figure 1.
REMERCIEMENTS
Mes remerciements s’adressent à toutes les personnes qui m’ont assisté sur le terrain lors de mes recherches. Je pense particulièrement à Audrey Greenman, Fanny Vecsernyés, Matthieu Richter et Léo Méroth, de même qu’à Anne-Laure Maire qui, grâce à la découverte fortuite d'un nid lors d'une excursion botanique, m’a permis de trouver une nouvelle station de Rat des moissons. J’exprime aussi ma reconnaissance à Sylvie Duret et à Hubert du Plessix qui m’ont guidé dans les méandres des marais de la haute Versoix et apporté une aide logistique. Je dois enfin des remerciements à Fabrice Darinot et à Jacques Morel qui ont aimablement accepté de relire mon manuscrit, ainsi qu’à Simon Capt et Michel Blant pour m’avoir fourni des données sur les Rats des moissons dans le bassin genevois. Mes recherches ont par ailleurs bénéficié du soutien financier du Conservatoire d'espaces naturels Rhône-Alpes et de l'appui du Muséum de Genève, qui, par l'intermédiaire de Manuel Ruedi, a mis à ma disposition une partie du matériel de capture.