Gautier, L. & T. Deroin (2013). Uvaria lombardii L. Gaut. & Deroin (Annonaceae), a new species endemic to Madagascar with spectacular inflorescences. Candollea 68: 237–244. In French, French and English abstracts.
Uvaria lombardii L. Gaut. & Deroin, a new species of Annonaceae, growing in the tropophilous forests of Mahajanga and Antsiranana provinces, is described, illustrated and its known distribution mapped. The morphology of the outstanding caulinar cymous inflorescences is discussed, as well as its systematic affinities with Uvaria acuminata var. catocarpa (Diels) Cavaco & Keraudren and Uvaria acuminata Oliv. var. acuminata. An assessment of its conservation status is also provided.
Introduction
Une série d'inventaires floristiques a été menée à Madagascar dans le cadre d'une collaboration entre les Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de Genève et le Département de Biologie et d'Ecologie de l'Université d'Antananarivo. Dans la région Loky-Manambato (Daraina, NE de Madagascar), dans le massif d'Andrafiamena (N), dans la presqu'île d'Am-pasindava (NW) et dans la forêt de Beanka (W), une espèce d'Uvaria L. aux inflorescences particulièrement ramifiées a été rencontrée à plusieurs reprises.
Uvaria est largement répandu dans les régions intertropicales de l'ancien monde. Outre la description d'espèces nouvelles, de récentes études moléculaires ont conduit à en étendre l'acception pour de très nombreux autres petits genres, essentiellement asiatiques (Zhou & al., 2009, 2010). On lui reconnaît actuellement près de 240 espèces (Rainer & Chatrou, 2013) dont environ 17 pour l'Afrique orientale (Deroin & Lötter, 2013) et 18 pour Madagascar (Deroin & Gautier, 2006). Le genre semble bien s'être diversifié depuis le continent africain, comme l'a démontré une très récente analyse phylogénétique (Zhou & al., 2012).
Uvaria présente le plus souvent des fleurs solitaires ou groupées en courtes inflorescences cymeuses comportant rarement plus de 3 à 4 fleurs. L'espèce décrite ici est à notre connaissance la seule du genre à posséder une inflorescence complexe aussi développée, regroupant jusqu'à 80 fleurs.
Uvaria lombardii L. Gaut. & Deroin, spec, nova (Fig. 1–5).
Typus: Madagascar. Prov. Antsiranana, SAVA: sous-préfecture de Vohemar, commune rurale de Daraina, forêt d'Ambohitsitondroina, 13°07′50″S 49°27′46″E, 250 m, 5.1.2006, fl., Ranirison & Nusbaumer 1046 (nolo-: G [G00090474]!; iso-: K, MO, P [P02297742]!, TEF, herbier de Daraina).
Ab Uvaria acuminata, habitu, cortice foliisque persimili; inflorescentiis semper caulinis multifloris, cumprimariis pedunculis fractiflexis saepius unicis, nullo modo multisfas-ciculatis laxe ramosis ut in varietate catocarpa; sepalis libe-ris non ovatis, dimidio minoribus; petalis internis leviter unguiculatis ; carpellis perpaucis, minus quam 10, stigma-tibus late infundibuliformibus munitis praecipue differt.
Liane à tige pouvant atteindre 10 mètres de longueur, et 10 cm de diamètre à sa base. Rameaux jeunes couverts de poils étoiles ferrugineux, puis glabres, à écorce lisse gris clair, striée-réticulée longitudinalement, à lenticelles nombreuses, transversalement bilobées, à peine plus claires. Feuilles dégageant une odeur camphrée quand elles sont froissées, à limbe elliptique à étroitement elliptique de 35-95 × 19-31 mm, acuminé à apex arrondi, et base arrondie à faiblement cordée, coriace, à face adaxiale glabre luisante et un peu glauque (sur le sec), à face abaxiale pubescente présentant 2 types de poils étoiles, les uns ferrugineux seuls présents sur la nervure médiane et abondants de part et d'autre de celle-ci, des poils blanchâtres moitié moins grands nombreux en périphérie du limbe. Nervure médiane imprimée dessus, proéminente dessous; nervures secondaires 6–12 paires, peu marquées dessus, saillantes dessous, se rejoignant à 2–3 mm du bord du limbe ; nervures tertiaires formant un réseau très dense. Pétiole très pubescent, long de 4–6 mm, canaliculé. Préfeuilles 1–6, souvent persistantes, à limbe ± orbiculaire de 7-18 × 7-11 mm, émarginé au sommet, ± tronqué à la base, présentant env. 5 paires de nervures secondaires et à pétiole de 1–3 mm. Inflorescences cymeuses complexes, très étalées (12-26 × 10-20 cm) et comprenant 40 à 80 fleurs, à pédoncule long de 8–60 mm naissant du tronc ou de rameaux âgés, à écorce verruqueuse, pubescence étoilée rousse et lenticelles beiges bien contrastantes. Trois ordres de ramification peuvent être distingués (fig. 5) : un axe principal plagiotrope en zigzag, apparemment terminé par une cyme de 3–5 fleurs, avec 4–5 bractées alternes-distiques très caduques, chacune axillant un élément cymeux basai souvent 1-flore et même absent dans les inflorescences les plus petites, ainsi qu'un élément cymeux supérieur toujours développé et réitérant l'architecture générale (axe I en zigzag à structures latérales cymeuses). Fleur à pédicelle long de 6–10 mm, à pubescence étoilée, muni d'une bractéole ovale-orbiculaire d'env. 1,5 × 1 mm, caduque. Réceptacle floral tronconique d'env. 2,5 mm de diamètre et 1 mm de hauteur. Calice de 3 sépales charnus libres, deltoïdes-pentagonaux d'env. 2 × 2,5 mm, étalés, extérieurement pubescents, à 7 nervures basales. Pétales 6, subégaux, à préfloraison imbriquée, beiges à jaunes, pourpres à la base, à odeur de jasmin (Ranirison & Nusbaumer 1046), extérieurement pubescents, les externes charnus, concaves, largement ovales d'env. 8 × 7,5 mm, à marge entièrement ciliée, à nervation peu visible (7 nervures basales); les internes plus minces, losangiques-elliptiques d'env. 9 × 6,5 mm, à marge ciliée seulement dans le tiers supérieur, à base charnue onguiculée, à nervation plus nette (5 nervures basales). Etamines env. 55, disposées en 3–4 cycles, oblongues d'env. 1,6 × 0.6 mm, à connectif tronqué élargi au-dessus des loges extrorses. Carpelles 2-7, de 2 × 0,6 mm, à ovaire lagéniforme à pubescence rase et stigmate en entonnoir élargi haut d'env. 0,5 mm, longuement pileux. Ovules env. 9 par carpelle, bisériés. Fruit connu de façon fragmentaire, à l'état juvénile (Nusbaumer & Ranirison 1354), et presque mûr (Gautier & al. 5902) comprenant jusqu'à 7 méricarpes ellipsoïdes, glabrescents, jusqu'à env. 25 × 15 mm, très brièvement stipités ( 2 mm), obtusément ou à peine mucronés au sommet, à péricarpe d'env. 800 μmd'épaisseur. Graines 1–9 (méricarpe alors lomentacé), ellipsoïdes-aplaties atteignant 10 × 8 × 6 mm, à tégument crustacé épais d'env. 350 um, brun foncé, faiblement strié transversalement, hile ovale de 2 × 1,5 mm, entouré d'un arille rudimentaire large d'env. 700 um, raphé non épaissi, albumen ruminé de type principalement lamellaire, tendant à spiniforme dans la partie distale de la graine.
Etymologic — Cette espèce est dédiée à Augustin Lombard (1905–1997), géologue et sédimentologue genevois, en mémoire duquel le fonds «Augustin Lombard» a été créé. Le Fonds finance les bourses attribuées par la Société de Physique et d'Histoire Naturelle aux étudiants en sciences naturelles de l'Université de Genève. Il a été régulièrement mis à contribution pour les étudiants ayant participé aux inventaires au cours desquels l'espèce a été découverte.
Affinités. — Un seul autre Uvaria malgache cauliflore avait été reconnu jusqu'à maintenant, U. acuminata var. catocarpa (Diels) Cavaco & Keraudren (Cavaco & Keraudren, 1958), une variété malgache, précédemment décrite de façon succincte par Diels (1925), et représentée par deux récoltes (Perrier de la Bâthie 14022,18362) réalisées sur la côte Est, et sans doute aussi une récolte plus ancienne de Bojer (Verdcourt, 1971 : 22). Uvaria acuminata Oliv. var. acuminata est strictement d'Afrique orientale et présente un indument très variable d'après Verdcourt (1971). En revanche, et contrairement aux doutes émis par cet auteur, la var. catocarpa apparaît bien distincte de l'espèce typique africaine par ses inflorescences toujours caulinaires et multiflores (jamais terminales et pauciflores), les fleurs montrant des pétales ovés (et non oblongs) et env. 10 carpelles (et non 20 ou plus).
Uvaria lombardii présente une évidente affinité avec U. acuminata var. catocarpa en ce qui concerne l'appareil végétatif: port, écorce, indument (y compris celui des pédoncules inflorescentiels), feuille (base arrondie à faiblement cordée, sommet acuminé, contour plus ou moins elliptique), exhalant une odeur aromatique lorsqu'elle est froissée (plus citronnée dans U. acuminata). L'organisation générale de la fleur est assez semblable (forme du réceptacle, des étamines et des ovaires, pétales subégaux, de teinte plutôt jaune, nombre de carpelles: env. 10 ou moins). En revanche l'architecture inflorescentielle complexe avec un pédoncule primaire très long, les sépales complètement libres (et non soudés à leur base), les pétales internes différenciés (un peu onguiculés) et les carpelles munis de stigmates en large entonnoir, montrent qu'il s'agit d'une espèce distincte, d'ailleurs absente de la côte orientale de la Grande Ile. Toutefois, seule une étude moléculaire de U. lombardii permettra de déterminer sa position phylogénétique exacte à l'intérieur du cladogramme du genre (Zhou & al., 2012: fig. 2) et donc de confirmer ou non ce rapprochement.
Remarques morphologiques. — Les inflorescences apparaissent successivement sur un coussinet méristématique (fig. 4A), conformément au modèle tronciflore décrit par Fries (1959: 18) dans certains Xylopia L., Guatteria Ruiz & Pav. et Duguetia A. St.-Hil. américains, ainsi que des Uvariopsis Engl. d'Afrique. Seul Uvaria acuminata var. catocarpa - croissant aussi à Madagascar - présente une structure comparable, la cauliflorie étant par ailleurs assez peu répandue dans le genre (par exemple dans U. cauliflora Ridl.).
L'architecture inflorescentielle est fondamentalement un thyrse défini, au sens de Troll (Weberling & Hoppe, 1996: 30), ici compliqué par des éléments cymeux latéraux supérieurs, précédés d'éléments latéraux inférieurs, ces derniers plus petits, parfois réduits à une seule fleur ou même absents (fig. 5, figurés en pointillés et blanc respectivement). L'axe primaire (fig. 5, figuré en noir) nous a cependant paru se terminer par une petite cyme, plutôt que par une fleur isolée. Cette inflorescence complexe, et probablement unique dans le genre Uvaria, résulte de la réitération du motif «cyme» et peut être qualifiée de «pleiorhipidium» au sens de Weberling & Hoppe (1996:31).
Cependant, seuls les stades finaux du développement ont pu être examinés et, en conséquence, les inflorescences de U. lombardii ne peuvent être complètement caractérisées sur le plan morphologique et donc comparées à celles récemment analysées dans d'autres genres, comme Unonopsis R. E. Fr. (Maas & al., 2007 ) et Mitrephora Hook. f. & Thomson (Weerasooriya & Saunders, 2010) et ce, d'autant plus qu'elles apparaissent successivement - et probablement pendant plusieurs années - sur le coussinet méristématique. Elles sont donc plutôt les éléments d'une inflorescence fondamentalement fasciculée.
Distribution, écologie. — Uvaria lombardi est connue des forêts tropophiles depuis le nord de Madagascar jusqu'aux latitudes moyennes du versant occidental, à des altitudes inférieures à 500 m, sous un climat tropical saisonnier avec 6 à 8 mois biologiquement secs (Fig. 6). L'espèce a été rencontrée aussi bien sur calcaires que sur grès ou sur roches métamorphiques et ne semble donc pas présenter d'exigences particulières au niveau du sol. Elle occupe une position généralement en faciès ombragés de versants ou en bas-fond. Dans les forêts décidues sur roches calcaires (Tsingy) de la forêt de Beanka, elle est enracinée dans des crevasses profondes de quelques mètres où s'accumulent matière organique et humidité.
Statut de Conservation. — Avec une zone d'occurrence (EOO) de 35 342 km2, une zone d'occupation (AOO) de 63 km2, et cinq sous-populations connues (une respectivement à Ampasindava, Andrafiamena et Beanka, et deux à Daraina), nous assignons à Uvaria lombardii un statut préliminaire de «Vulnérable» [VU B2ab(i, iii)] selon les catégories et les critères de l'UICN (IUCN, 2012, calculé selon Callmander & al., 2007), dans la mesure où plusieurs de ces populations sont situées dans des aires protégées en cours de classement. Au cas où ces classements n'aboutiraient pas, il faudrait envisager son classement dans la catégorie «En Danger».
Paratypi. — Madagascar: Prov. Antsiranana, SAVA: Andrafiamena, forêts aux alentours d'Anjahankely, 12°53′55″S 49°17′23″E, 492 m, 4.XII.2010, fl., Burivalova 079 (G, K, MO, P, TEF); sous-préfecture de Vohemar, commune rurale de Daraina, forêt de Sola-niampilana-Maroadabo, 13°05′26″S 49°34′58″E, 120 m, 4.III.2004, boutons, Gautier & al. 4558 (G, K, MO, P, TEF, herbier de Daraina); sous-préfecture de Vohemar, commune rurale de Daraina, forêt d'Am-bilondamba, 13°09′42″S 49°38′41″E, 360 m, 17.XII.2004, fl. tardives, Nusbaumer & Ranirison 1354 (G, K, MO, P, TEF, herbier de Daraina). Diana: presqu'île d'Ampasindava, forêt de Bongomihira-vavy, 13°45′51″S 48°04′19″E, 210 m, 6.XII.2008, fl. passées, j. fr, Tahinarivony & al. 178 (G, K, MO, P, TEF). Prov. Mahajanga, Melaky: forêt de Beanka, 18°01′34″S 44°30′57″E, 362 m, 25.XI. 2011, fl., Gautier & al. 5735 (G, K, MO, P, TEF); forêt de Beanka, 18°07′09″S 44°35′05″E, 380 m, 26.XI.2012, j. fr., Gautier & al. 5841 (G, K, MO, P, TEF); forêt de Beanka, 18°07′11″S 44°33′38″E, 340 m, fr, 1.XII.2012, Gautier & al. 5902 (G, MO, P, TEF).
Remerciements
Les auteurs souhaitent remercier Nathalie Rasolofo, Louis Nusbaumer et Martin Callmander pour la carte de distribution et les calculs nécessaires à l'attribution aux catégories de conservation. LG souhaite par ailleurs remercier Thierry Lombard et Michel Grenon pour leur travail dans la gestion du Fonds Lombard, ainsi que la fondation Vontobel pour le soutien au programme de recherche à Madagascar. La mise en forme définitive de ce travail résulte de la relecture attentive de Martin Callmander et surtout des nombreuses et judicieuses remarques de Lars Cha-trou que nous remercions ici chaleureusement.